[périodique] Voir les bulletins disponibles Rechercher dans ce périodique Titre : | L'Artiste : Journal de la littérature et des beaux-arts - Revue de Paris | Type de document : | texte imprimé | Auteurs : | Achille Ricourt, Fondateur ; Achille Ricourt, Directeur de publication ; Hippolyte Delaunay, Directeur de publication ; Arsène Houssaye, Directeur de publication ; Arsène Houssaye, Rédacteur en chef ; Théophile Gautier, Rédacteur en chef ; Jules Janin, Rédacteur en chef ; Paul Mantz, Rédacteur en chef ; Pierre Malitourne, Rédacteur en chef ; Jan Le Quesne, Secrétaire de rédaction ; Léon Lebrun, Secrétaire de rédaction ; Hippolyte Delaunay, Gérant ; Arsène Houssaye, Gérant ; Édouard Houssaye, Gérant ; Jean Alboize, Gérant | Année de publication : | 1831-1904 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | Critique d'art édition de textes littéraires revue informative sur tous les évènements de la vie artistique | Note de contenu : | critique d'art, nouvelles, romans, poésies, articles et chroniques journalistiques.
| Dimensions : | grand in-quarto; petit in-folio; grand in-octavo | Périodicité : | hebdomadaire; bimensuel; mensuel; trimestriel | Tirage : | 13400 ex. - affaiblissement des parutions à partir de 1862. | Illustrations : | Oui: Vignettes et culs-de-lampe gravés sur bois, planches gravées sur acier ou lithographiées | Publicités : | Publicités à la fin des numéros, qui touchent le domaine des arts (vente de tableaux, de bijoux, ventes aux enchères, annonces d'exposition...) | Adresse : | 45 avenue Friedland 75008 Paris | Numéros parus : | 112 | Histoire de la revue : | Adrien GOETZ, "L'Artiste", Dictionnaire de la Littérature française du XIXe siècle, Encyclopaedia Universalis, http://www.universalis.fr/encyclopedie/l-artiste-revue-d-art/ "Créée en 1831 pour défendre et illustrer les valeurs nouvelles du romantisme, la revue L'Artiste connut jusqu'en 1904 une existence tumultueuse. Elle constitue une source essentielle pour connaître l'histoire de l'art et l'histoire littéraire du XIXe siècle français. De nombreux jeunes artistes, les Johannot, Decamps, Raffet, collaborent à la revue et lui donnent, au premier abord, une coloration nettement « romantique ». Le jeune critique Jules Janin est omniprésent ; Balzac y écrit occasionnellement des nouvelles ; Chateaubriand y donne des avis d'architecture ; George Sand y parle de théâtre. C'est dans L'Artiste que l'on trouve alors les traductions des contes fantastiques d'Hoffmann. Les critiques y lisent, en guise de modèle suscitant un nouvel engouement, des extraits des Salons de Diderot. Par la suite, la revue accueillit les signatures de Nerval ou de Théophile Gautier. C'est sur cette trompeuse liste de noms glorieux que L'Artiste a trop souvent été jugée : on en a conclu, sans la lire, que la revue avait été formée pour accueillir les grands prophètes du romantisme, populariser leurs idées et qu'elle y était parvenue avec éclat – avant de s'assoupir jusqu'en 1904. La réalité est plus complexe.Ce mot d'ordre de L'Artiste, qui se donne pour but de parler de peinture, de sculpture, d'architecture, d'arts décoratifs et de musique, signifie que le but de la revue est de laisser parler tous les artistes, romantiques ou non, même si la préférence des rédacteurs va aux plus jeunes. L'idée d'une nécessaire « association » des artistes, similaire à la Société des gens de lettres qui fut fondée en 1838, revient pourtant sans cesse sous la plume des publicistes qui veulent élargir le lectorat. La première série comprend quinze volumes, parus entre le 6 février 1831 et le 22 avril 1838. La périodicité de ces cahiers de quinze pages en moyenne est hebdomadaire. Chaque livraison est accompagnée de deux hors-texte : la formule est fixée. L'originalité de la première version de L'Artiste, dirigée d'abord par Achille Ricourt, est de placer sur un pied d'égalité le texte et l'image (planches en hors-texte et vignettes d'illustration). Aux grands critiques débutants que sont Jules Janin ou Gustave Planche répondent les frères Johannot, Devéria ou Gavarni. Balzac donne Le Chef-d'œuvre inconnu, modèle du roman philosophique sur l'art. Léon Noël lithographie les portraits des artistes à la mode et des grandes figures du théâtre romantique. Le projet se veut d'emblée universaliste. Le Salon constitue la trame essentielle des livraisons hebdomadaires et se suit comme un feuilleton. De 1831 à 1838, la revue prétend haut et fort défendre les valeurs du romantisme et porter les couleurs de Delacroix – dont les collaborations sont en réalité des plus limitées. Dans la complexité des réseaux du Paris des années romantiques, on peut cerner ce que Léon Gozlan appela « la bande de L'Artiste » et trouver ses points de ralliement, cafés, théâtre, lieux d'exposition... La quête principale menée par la revue, à Paris, mais aussi très largement en province, est double : elle cherche le renouvellement dans les arts et surtout à définir l'école française contemporaine. Cette vision panoramique englobe la vie théâtrale et lyrique, le style de vie « romantique » avec ses modes, ses bals et ses misères... Elle est indissociable d'une vision historique qui donne sens au musée et à l'histoire de l'art. Par le biais de fictions « en costumes » ou d'études sérieuses, L'Artiste fait revivre les maîtres d'autrefois pour expliquer ceux du présent. La cohérence du projet, à travers les directorats successifs, est donc prépondérante et explique sans doute la pérennité du titre. Elle transcende la dispersion apparente des sommaires et l'impressionnante liste des artistes cités dans la revue, qui font de L'Artisteune comédie humaine des arts. Le premier des combats menés par L'Artiste, et qui permet les autres, c'est la défense de l'éminente dignité du critique d'art. Le singulier du titre confère à ce héros des temps nouveaux un rayonnement égal à celui du poète. Ensuite, la revue prône, dans quelques domaines bien arrêtés, des formes artistiques nouvelles qui doivent tout à l'impulsion romantique, même si elles n'en conservent pas la lettre. Elle prend la défense de la sculpture, art mal aimé que L'Artiste prétend rendre populaire (recommandant des artistes médiévalistes comme Antonin Moine, Félicie de Fauveau, Aimé Chenavard ou Marie d'Orléans), des monuments historiques et de l'architecture moderne, de l'estampe enfin, trois lignes de forces autour desquelles s'articule sa pensée. La défense de l'estampe est bien évidemment centrale, combat dominant qui fut sans doute le seul victorieux durant ces années-là. Avec ses estampes, des lithographies d'abord puis, de plus en plus d'eaux-fortes, L'Artiste méritait d'être collectionné comme une œuvre d'art à part entière. En 1838 s'arrête la première série. La seconde publication de 1838, avec une typographie et un format différents, correspondant à une formule renouvelée et plus luxueuse, est le premier de la deuxième série de L'Artiste. Le successeur de Ricourt, Hippolyte Delaunay, entend améliorer la substance de son journal. Il conserve Janin comme rédacteur en chef jusqu'en 1840. Les articles seront désormais signés, on ne donnera de nouvelles que du monde de l'art, on insistera sur la province, enfin, on introduira les lecteurs « dans les ateliers ». Créée en 1831 pour défendre et illustrer les valeurs nouvelles du romantisme, la revue L'Artiste connut jusqu'en 1904 une existence tumultueuse. Elle constitue une source essentielle pour connaître l'histoire de l'art et l'histoire littéraire du XIXe siècle français. De nombreux jeunes artistes, les Johannot, Decamps, Raffet, collaborent à la revue et lui donnent, au premier abord, une coloration nettement « romantique ». Le jeune critique Jules Janin est omniprésent ; Balzac y écrit occasionnellement des nouvelles ; Chateaubriand y donne des avis d'architecture ; George Sand y parle de théâtre. C'est dans L'Artiste que l'on trouve alors les traductions des contes fantastiques d'Hoffmann. Les critiques y lisent, en guise de modèle suscitant un nouvel engouement, des extraits des Salons de Diderot. Par la suite, la revue accueillit les signatures de Nerval ou de Théophile Gautier. C'est sur cette trompeuse liste de noms glorieux que L'Artiste a trop souvent été jugée : on en a conclu, sans la lire, que la revue avait été formée pour accueillir les grands prophètes du romantisme, populariser leurs idées et qu'elle y était parvenue avec éclat – avant de s'assoupir jusqu'en 1904. La réalité est plus complexe. Les unions sacrées ne durent guère après les victoires. La bataille du romantisme gagnée, comment pouvait évoluer L'Artiste ? Après l'entrée de Delacroix à l'Institut, la revue perd de son élan et, en un certain sens, voit se dissoudre sa raison d'être. Non que son but ultime eût été de faire entrer le lion sous la coupole, mais la lutte contre les valeurs académiques, même si l'École des beaux arts demeure une inexpugnable citadelle, n'a plus vraiment lieu d'être après l'Exposition universelle de 1855. En 1849, Arsène Houssaye devient directeur de la Comédie-Française et abandonne la revue. Son frère Édouard associé à Xavier Aubryet prend alors les rênes. Ils laissent à Gautier le rôle de rédacteur en chef de 1847 à 1858, mais son ombre s'étend sur l'ensemble de la série. Il y exerce une influence comparable à ce qu'avait été celle de Janin. Flaubert, les Goncourt collaborent. Charles Blanc, Paul Mantz, Clément de Ris, Philippe de Chennevières, Paul de Saint-Victor y sont les critiques les plus marquants. La revue a trouvé son rythme, la formule se stabilise et ses fidèles sont plus nombreux. Cet Artiste de 1856 affiche clairement la nostalgie de l'époque où il était une revue militante. Après 1859, Arsène Houssaye reprend la direction jusqu'en 1880 mais le jeune inventeur de vingt ans est loin. C'est le début de la décadence de L'Artiste, qui s'achève « au plus petit bruit » en 1904. La cinquième série s'échelonne, en seize volumes, du 12 mars 1848 au 17 février 1856. Entre le 1er mai 1848 et le 1er décembre 1854, la revue paraît de manière bimensuelle. Elle reprend sa périodicité hebdomadaire de 1854 à 1856. À partir de la fusion de L'Artiste avec La Revue de Paris, les volumes sont devenus moins denses : les nouvelles brèves sont moins nombreuses et variées, les feuilletons romanesques non artistiques sont plus longs et plus nombreux, la poésie, plus qu'inégale, omniprésente. Il est aisé de déduire, à la lecture, que le lectorat a subtilement changé : L'Artiste semble s'adresser beaucoup plus à un public cultivé, souhaitant se tenir au courant des nouveautés de l'édition et de l'actualité des Salons, qu'au public des artistes eux-mêmes, qui constituait sa « cible » principale à l'époque de la création, en 1831. Ce qui subsiste de l'ancien sommaire est assez clair : l'actualité architecturale, la question des restaurations des monuments historiques, les nouveautés de la librairie sous une forme publicitaire plus ou moins masquée, les récits de voyages et les descriptions de pays étrangers. Dans ses rubriques, L'Artiste a instauré une « République des arts », avant la vraie république. Lors de la révolution, il met en avant ses rédacteurs les plus avancés, Alphonse Esquiros ou Pétrus Borel. Avec la révolution de 1848, L'Artiste pense, dans bien des domaines, être arrivé au terme de ses combats. Malgré ces bonnes intentions, promesses en partie non tenues, il est incontestable que la revue, à partir de cette deuxième série qui commence en 1838, s'affadit. Huit volumes, parus entre le 29 avril 1838 et le 26 décembre 1841, s'ajoutent aux quinze premiers sur les rayonnages des librairies. Il s'était agi, dans la première série de faire la « publicité des arts », c'est-à-dire d'en donner le goût à un large public. Cette volonté d'éducation est moins prégnante dans les années qui suivent. La manière dont la revue affirme qu'elle ne mène aucun combat partisan est remarquable. Elle entre pour dix ans dans une phase nouvelle où ses combats se dissimuleront sous un masque d'objectivité. Le romantisme « excessif » est visé. L'Artiste, sentant le reflux, devient-il le journal du « juste milieu » artistique : une revue des arts écrite plus pour le public « bourgeois » que pour celui des artistes ? La meilleure qualité de l'impression et de la typographie trahit alors ce changement d'attitude. Mais les planches se font moins nombreuses, parfois une seule par livraison. Cette reprise en main, sous l'action de Delaunay et Janin, faillit faire péricliter l'entreprise. La troisième série, très courte puisqu'elle ne comprend que cinq volumes, parue entre le 7 janvier 1842 et le 28 avril 1844, traduit les difficultés de L'Artiste de Delaunay. Janin continue à beaucoup écrire, Arsène Houssaye le rejoint, mais il est manifeste que la revue s'épuise et certains indices permettent de supposer qu'elle perd des lecteurs. Est-ce le prix d'un recentrage affirmé sur les arts visuels au détriment du théâtre et de la vie mondaine ? Ce qui est sûr, c'est que cette série de transitions permet la montée en puissance d'un jeune loup du Paris artistique et littéraire, Arsène Houssaye. Il transforma L'Artiste en tribune pour promouvoir un petit groupe soudé par de forts liens personnels. En 1843, Arsène Houssaye reprend la revue et succède à Delaunay. Nerval s'en réjouit. C'est la prise du pouvoir par le groupe des anciens de la rue du Doyenné, évoqués par Gérard dans les Petits Châteaux de Bohême. Du 5 mai 1844 au 5 mars 1848, L'Artiste rénové, au long de onze volumes, retravaille ses anciennes rubriques. On y trouve toujours des textes de fiction, des comptes rendus détaillés des Salons, l'actualité des lettres et des arts. Le théâtre, passion de Houssaye, reprend tous ses droits. C'est un second âge d'or, avec des signatures comme celles de Gautier, Nerval, Murger, Champfleury. La revue sait bien évoluer dans le sens du goût du public. Houssaye n'est cependant pas dupe. Le temps de la lutte pour le romantisme semble passé. C'est dans ces années que la revue constitue véritablement « un pouvoir », autant dans le monde des spectacles que dans celui des arts plastiques. La grande idée directrice de Houssaye réside en un mot qui revient sans cesse dans L'Artiste de cette époque : le « renouveau ». En juillet 1845, Arsène Houssaye rachète la Revue de Paris. Les deux titres fusionnent. François Buloz, le propriétaire de la Revue des deux mondes, qui était aussi l'un des propriétaires de la Revue de Parisprend des parts dans L'Artiste, formant ainsi un groupe de presse très influent dans la France duXIXe siècle. Le riche poète Jules Lefèvre-Deumier compte comme le principal bailleur de fonds de cette nouvelle construction. À la date du 13 juillet 1845, la revue s'intitule L'Artiste-revue de Paris. La mention apparaît en titre courant en haut de chaque page. C'est l'époque où une certaine spéculation s'établit sur les estampes de la revue." | Déclaration d’intention : | C'est un beau mot, artiste ! C'est comme si l'on disait intelligent. Heureux ceux qui comprennent, ils font mieux que tout savoir, ils jouissent de tout ce qui se fait. Ils sont artistes pour eux tout seuls. Si donc vous me montrez là dans le palais, là-haut dans la mansarde, un Homme avec ce mot artiste, je le salue, je lui porte envie là ou là ; c'est un heureux de ce monde, c'est un rêveur, c'est un insouciant philosophe peu inquiet des faits matériels de la vie, qui n'en conçoit ni la portée ni le danger. Digne homme qui n'a souci que de son, de couleur, d'air, d'aine et de cœur, qui de tout le reste ne sait pas un mot, et qui est sûr de vivre tant qu'il y aura dans le monde quelque chose qu'on appellera de l'art. Mais d'autre part n'être pas artiste! C’est-à-dire renoncer à la vie de l'aine, renoncée à l'analyse; tout voir sans rien distinguer, n'avoir ni admiration, ni dédain, ni justesse dans le regard, ni feu dans le cœur, ni passion dans l’âme ; rester froid devant un chef-d’œuvre! Ne distinguer dans la création ni beauté, ni laideur; ne comprendre aucun délassement de l'esprit; ni la poésie, ni le drame, ni la musique, ni Phidias, ni Michel-Ange, ni Rossini! Ne pas comprendre ce mot artiste, qui plus est ne pas le regretter, quelle mort! L'art c'est la vie, l'art c'est un don de Vaine sous des formes diverses, l’âme c'est l'amitié, c'est l'amour, c'est la colère, c'est la vengeance, c'est la terreur, c'est la voix qui réveille les peuples, qui chante la liberté, qui délivre les esclaves, qui punit le puissant, qui soutient le faible ; l'art c'est la dernière gloire à laquelle aspirent les nations maîtresses, c'est la borne fatale où se brisent les barbares ; l'art c'est la Grèce, c'est l’Italie, c'est la France, c'est l'Allemagne, c'est l’Angleterre. Philosophie, histoire, drame, peinture, qu'importe le nom? Tout cela c'est de l'art. Je ne vous dirai pas où est l'art : dites-moi s'il se peut où il n'est pas. Sortez de votre demeure ; abandonnez un instant vos chefs d'oeuvre à vous, vos bonnes gravures pendues à la muraille , votre Apollon de bronze, le bras de votre fauteuil qui représente le col d'un cigne , votre pendule dorée au-dessus de laquelle Bélisaire ou Homère demande l'aumône aux passans , en rentrant vous retrouverez tout l'art qui orne votre demeure ; mais au-dehors , dans la rue, vous allez encore le trouver partout, courant çà et là , à pied, en voiture ; voyez-le en petit tablier et en cornette sortant d'un magasin de modes ; voyez-le en grand habit et tout botté monté sur un beau cheval ; voyez-le vendant, achetant, présidant aux plus minutieux détails de la vie ; tour à tour bourgeois , grand seigneur, peintre ou laquais ; toujours art quel que soit son costume ; s'appropriant h toutes les fortunes, se pliant à tous les caprices, forçant toutes les portes, se faisant comprendre même du Béotien ; invincible dans une grande ville, combattu en province, vaincu dans nos pauvres campagnes, jamais abattu , jamais découragé, fort comme un principe, baissant la tête pendant les révolutions, et la relevant fièrement l'instant d'après, immortel. On a dit que l'ordre était le soutien des nations ; d'autres ont regardé la loi comme la reine du monde ; ceux-ci ont choisi la force; tous ont eu tort. L'art est le maître souverain ; l'art en haut et en bas. L'art façonne l'or des colliers de cour et le fer des charrues ; l'art du peuple d'abord, et ensuite l'art pour les grands; l'art des riches, l'art qui se multiplie sous tous les points. Voyez-le chez les heureux : il serpente également sous la dentelle et sur le fer; il polit le diamant et il peint les lambris; il dore la porcelaine et le cuivre, il tresse la laine, il broie les couleurs, il anime de mille sons de méchantes cordes tendues sur un morceau de hêtre, il fait circuler à la fois la pensée et l'argent des peuples. L'art ainsi vu est donc un point de ralliement auquel on ne saurait trop se réunir, un mot d'ordre qu'on ne peut trop répéter, un mot du peuple et un mot de grands seigneurs. Accourez tous avec nous, artistes, réunissons-nous, coalisons-nous, faisons de l'art ensemble, parlons-en quand nous n'en ferons pas, voilà notre but. Vanter le beau, siffler le laid, faire la guerre au difforme et nous réjouir en chœur quand nous découvrirons qu'il y a talent quelque part, c'est une assez belle destinée, c'est une heureuse vie féconde en sarcasmes, en découvertes, en rares bonheurs, en désappointements cruels, en insomnies et en surprises de chaque instant, une vie de hasard, une vie d'artiste en un mot. Il y a deux divisions principales à faire entre les artistes. L'homme qui sait et qui juge, et l'homme qui compose et qui crée. Le premier est l'artiste heureux spectateur de tous les efforts, applaudissant tous les succès; le second est l'artiste laborieux, acteur intéressé dans cette noble lutte des arts, plein de vastes espérances, et à défaut du présent, jouissant de l'avenir. De ces deux espèces d'artistes on compose une excellente manière d'être artiste; il y a des artistes qui jugent et qui créent , auteurs et acteurs à la fois , comme Molière ; c'est aux uns et aux autres que nous offrons cette tribune. A l'homme qui juge des jugemens à porter, h l'homme qui compose des gravures pour reproduire sa composition favorite, à tous les deux un journal à écrire ; un journal où ils diront franchement leur pensée la plus intime ; toujours assurés qu'ils seront de ne pas se blesser les uns les autres ; divisés sur un point, ils seront toujours réunis par l'amour de l'art; en fait de discussion savoir ce qu'on dit, c'est là tout le secret pour être tolérant et modéré. Outre cette première division entre l'artiste qui juge et l'artiste créateur, nous aurions mille divisions h établir, nous en indiquerons quelques-unes, ne fut-ce que pour faire comprendre combien c'est vraiment tout un inonde et non pas un petit peuple à part que nous avons à exploiter. On naît artiste. Enfant, mille rêveries confuses, jeune homme mille essais inachevés, homme fait des essais encore, le plus souvent imparfaits. A un pareil artiste il ne faut que la page d'un livre , la pierre d'un lithographe , la toile d'un tableau ; il est artiste nonchalamment, il jette au hasard sa pensée , sa ligne commencée , son esquisse inachevée, sa stance sans conclusion. Voilà pour nous un artiste précieux, un artiste insouciant de son oeuvre, jetant dans le monde des êtres nouveaux comme Charlet ou Vernet, quand ces êtres sont dans le monde ne s'en inquiétant pas davantage que s'ils n'existaient pas. Nous adopterons avec transport ces enfants abandonnés d'une muse échevelée et sans conduite, c'est notre bien, ce sont nos enfants à nous, et à l'avance nous les adoptons. Quelques-uns fuient la ville, cherchent la nature verdoyante, se plaisent à voir grimper la vigne au haut du roc, à suivre la vache qui broute, à saisir sur le fait les derniers rayons du soleil, la molle lueur de la lune qui se lève ; ils se plaisent dans l’étable, dans la cabane du villageoise, il chantent les bergers, dessinent les bois, ils aiment fixer la barque entre les saules du lacs ; Paris aimera cette nature champêtre, ce monde bêlant, ces hautes herbes, ces effets de lumières. L’idylle bien faite à son charme, nous accueillerons l’idylle même, pourvu qu’elle soit digne d’un consul Trouvez un recoin du monde habité qui ne soit pas du domaine de l'artiste. L'un se fait beau, se pare de son habit noir ; il noue sa cravate comme un simple mortel voilà dans un salon. Posez devant lui, élégants du jour petites maîtresses fardées, aimable vice élégant, venez poser devant l'inflexible crayon, aristocrates, ménages parisiens dans tout votre luxe et votre indigence, et en un clin d'œil les voilà tous croqués : l'artiste, c'est aussi bien le faiseur de caricatures que l'écrivain des Caractères que le ridicule vienne, écrit ou dessiné, qu'importe! Il y aura cela de bon, en cette affaire, que souvent on le verra imprimé et dessiné à la fois, doublement fustigé, doublement commenté, expliqué; comme faisait Rabelais, unissant les Songes drolatiques à l'histoire de Pantagruel. Un autre artiste s'assied sur le bord du chemin, et prête l'oreille au loin ; il entend venir une armée, et avec cette armée tout l'empire, et dans cet empire il choisit quelques soldats de préférence. Par exemple, de vieux soldats aux longues moustaches, qui tirent un cochon par la queue, ou qui guillotinent une innocente volaille, ou qui jouent à la drogue un pot de bière écumant jusqu'aux bords, voilà va bien. Cantinières, tambour, sergent, tout est là tout le camp, tous ses plaisirs, toute la guerre, tous ses dangers, nous en avons eu six cent mille comme ceux-là Puis change ma volonté d'artiste; il laisse les vieux lurons, et s'en prend aux jeunes. Vient Jean-Jean, le chapeau renversé sur la tête, l'habit neuf, et qui trouve son fusil lourd : Jean-Jean est un type tout de suite. Vous avez les deux extrêmes de l’armée, même courage des deux parts ; croyez-vous que cela ne vaille pas bien une histoire? Et si à ces tableaux vous joignez par exemple, une chanson de Béranger, bien faite , une des bonnes ; ne seront-ce pas là deux belles pages, et où trouverez-vous mieux ? Or il n'y a que l'union de tous les arts qui puisse arriver à ce résultat Vraiment imaginerait-on que l'art ne consiste qu'à peindre, que l’art n’appartient qu’à celui qui manie le pinceau et la plume ? Oh que non ! Il n’est personne à qui il ne soit donné de se dire : et moi aussi ! Je n’ai pas dit où je mets l’art ; mais j’estime singulièrement un bon repas, un bel habit, une chaussure commode, un meuble bien fait ; je mets avant tout dans le bonheur le bien être de la vie, la commodité, l’aisance, le bon marché. D’autant plus que l’art s’en va. Au théâtre tout s’oublie : le goût, la décence, le bon ton, le costume, le chant, tout se perd. La danse languit ; la tragédie est perdu à jamais ; la comédie est désolée ; le drame gronde et agit les poings fermés. Adieu la terreur, la pitié, les rires, les larmes, l’intérêt, les émotions fortes : c’est que nous aurons de la comédie quand on s’occupera de comédie. De même en peinture on fait du rouge, on fait bleu, on fait indigo, on fait monstre, et la poésie à la fin (malheur à elle!) est comme la peinture. De même pour la musique elle miaule, elle hurle, elle chante faux, elle a besoin de se faire italienne pour être quelque chose, de même pour tout ce qui n'est pas positif. Il faut donc beaucoup s'occuper de ces bonnes choses qui se perdent ; c'est un devoir de citoyen, c'est un besoin d'honnête homme et d'homme heureux. Nous avons vu que l'artiste ne manquera pas à l'œuvre ; nous voyons que l'œuvre ne manquera pas à l’artiste, nul prétexte donc pour reculer. Nul prétexte pour rester plus long-temps dans cet engourdissement funeste, pour prolonger cette indifférence mortelle, pour nous courber en esclaves sous le positif de la vie, pour laisser tout dans cet indigne abandon, nous si grand peuple, si instruit, si riche, si blasé, et qui sommes si près de n'avoir rien de nouveau à sentir. Un Italien l'a dit quand on emportait l'Apollon du Belvédère : « Il faut que l'Apollon suive la Vénus , disait le proconsul français. Emportez , reprit l'artiste, qu'il rejoigne la Vénus; mais, c'est dommage, ils ne feront jamais d'entans chez vous! » Ne ferons-nous pas mentir l'Italien ? En fait d'artiste, j'oubliais l'artiste à la manière de Sterne. Le contemplatif, le rêveur, le grave historien des petites choses, suivant à perdre haleine le rien dans toutes ses formes, occupé de son, d'air, de bruits légers, d'ondulations dans l'onde, d'un grain de sable ; faisant un drame avec une tabatière de corne ou un bouquet fané, appelant un notaire pour acheter une paire de bas , Yorick en un mot, Yorick sous toutes les formes , Yorick notre ami , notre auteur favori , notre rêveur, il sera là; c'est sur lui que nous comptons pour ses petites histoires , ses contes plaisans, ses descriptions et son art de tout conter et de tout peindre ; il n'y a pas de journal, il y a très-peu de livres sans Yorick. Après Yorick, Théodore ; après Sterne, Hoffman. C’est une découverte toute moderne que le fantastique. C’est une nouvelle source d’émotions que l’artiqte fantastique, le fantasque, qui remplace l’arlequin usé, le pantalon fatigué, tous les gilles du monde ; le fantasque, qui n’est autre chose que le Pasquin de notre siècle. Singulier animal qui se vautre ou qui vole, qui rit ou qui pleure, qui fait l'amour ou qui égratigne ; un cauchemar est son inspiration la plus puissante, le rêve est son état naturel, l'ivrognerie est sa vie, le son est sa folie; grand enfant souvent niais, quelquefois sublime ; il est de toutes les opinions, de tous les partis, de toutes les vérités, de tous les mensonges, de tous les écots , ne payant jamais le sien. L'artiste fantastique n'a pas été encore défini ; c'est de l'art et un vice de l'art pour faire pardonner le vice, un vice pour servir de relief à l'art. Plus il y a d'art plus il faut de folie; le neveu de Banceau, par exemple, et la danse des Morts, Hoffmann et Boulanger. Le premier des conteurs fantastiques est saint Augustin. Quel conteur ! Voilà une mine toute nouvelle que nous exploiterons certainement. En un mot, avant six mois nous saurons au juste s'il y a de l'art en France, et quel art, et combien, et à quel prix, et de quel intérêt, et de quelles émotions suivies. Comme nous parlerons de l'art dans toute son étendue et le plus complétement que nous pourrons et sous toutes ses faces, nous saurons bien ce qu'il faudra penser avant pende cette grande question : L'art est-il encore possible parmi nous? Question grave, puisque sous un certain rapport elle se rattache à la fois aux croyances et à l'avenir des peuples. Et d'ailleurs nous avons été si ballottés depuis un an, nous avons subi tant de secousses , tant de malheurs , nous avons passé à travers des extrêmes si bizarres, si odieux , si glorieux , nous avons tremblé pour tant d'existences , pleuré sur tant de tombeaux , qu'il est temps enfin que nous fassions trève à toutes ces agitations. Il est temps que notre vie se calme. Il est temps que nous prenions haleine. Soyons artistes encore un jour s'il faut que nous finissions un jour. Dans les temps de révolution, l'art c'est le repos; dans les temps de calme, l'art c'est le bonheur ! JULES JANIN. | Sources : | BnF ; sur Gallica en version numérique | Bibliographie : | Peter J.EDWARDS, Dossier : La revue « L'Artiste » (1831-1904). Notice bibliographique, Romantisme, 1990, n°67. pp. 111-118. | Archives : | Ms242 / Pièce 14 conservée à la bibliothèque de l'INHA , lettre de Delacroix à Achille Ricourt | Liens : | http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343612621/date.r=L%27Artiste+%3A+journal+de+la+litt%C3%A9rature+et+des+beaux-arts.langFR / http://www.universalis.fr/encyclopedie/l-artiste-revue-d-art/ , http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1990_num_20_67_5655 |
[périodique] Voir les bulletins disponibles Rechercher dans ce périodique L'Artiste : Journal de la littérature et des beaux-arts - Revue de Paris [texte imprimé] / Achille Ricourt, Fondateur ; Achille Ricourt, Directeur de publication ; Hippolyte Delaunay, Directeur de publication ; Arsène Houssaye, Directeur de publication ; Arsène Houssaye, Rédacteur en chef ; Théophile Gautier, Rédacteur en chef ; Jules Janin, Rédacteur en chef ; Paul Mantz, Rédacteur en chef ; Pierre Malitourne, Rédacteur en chef ; Jan Le Quesne, Secrétaire de rédaction ; Léon Lebrun, Secrétaire de rédaction ; Hippolyte Delaunay, Gérant ; Arsène Houssaye, Gérant ; Édouard Houssaye, Gérant ; Jean Alboize, Gérant . - 1831-1904. Langues : Français ( fre) Mots-clés : | Critique d'art édition de textes littéraires revue informative sur tous les évènements de la vie artistique | Note de contenu : | critique d'art, nouvelles, romans, poésies, articles et chroniques journalistiques.
| Dimensions : | grand in-quarto; petit in-folio; grand in-octavo | Périodicité : | hebdomadaire; bimensuel; mensuel; trimestriel | Tirage : | 13400 ex. - affaiblissement des parutions à partir de 1862. | Illustrations : | Oui: Vignettes et culs-de-lampe gravés sur bois, planches gravées sur acier ou lithographiées | Publicités : | Publicités à la fin des numéros, qui touchent le domaine des arts (vente de tableaux, de bijoux, ventes aux enchères, annonces d'exposition...) | Adresse : | 45 avenue Friedland 75008 Paris | Numéros parus : | 112 | Histoire de la revue : | Adrien GOETZ, "L'Artiste", Dictionnaire de la Littérature française du XIXe siècle, Encyclopaedia Universalis, http://www.universalis.fr/encyclopedie/l-artiste-revue-d-art/ "Créée en 1831 pour défendre et illustrer les valeurs nouvelles du romantisme, la revue L'Artiste connut jusqu'en 1904 une existence tumultueuse. Elle constitue une source essentielle pour connaître l'histoire de l'art et l'histoire littéraire du XIXe siècle français. De nombreux jeunes artistes, les Johannot, Decamps, Raffet, collaborent à la revue et lui donnent, au premier abord, une coloration nettement « romantique ». Le jeune critique Jules Janin est omniprésent ; Balzac y écrit occasionnellement des nouvelles ; Chateaubriand y donne des avis d'architecture ; George Sand y parle de théâtre. C'est dans L'Artiste que l'on trouve alors les traductions des contes fantastiques d'Hoffmann. Les critiques y lisent, en guise de modèle suscitant un nouvel engouement, des extraits des Salons de Diderot. Par la suite, la revue accueillit les signatures de Nerval ou de Théophile Gautier. C'est sur cette trompeuse liste de noms glorieux que L'Artiste a trop souvent été jugée : on en a conclu, sans la lire, que la revue avait été formée pour accueillir les grands prophètes du romantisme, populariser leurs idées et qu'elle y était parvenue avec éclat – avant de s'assoupir jusqu'en 1904. La réalité est plus complexe.Ce mot d'ordre de L'Artiste, qui se donne pour but de parler de peinture, de sculpture, d'architecture, d'arts décoratifs et de musique, signifie que le but de la revue est de laisser parler tous les artistes, romantiques ou non, même si la préférence des rédacteurs va aux plus jeunes. L'idée d'une nécessaire « association » des artistes, similaire à la Société des gens de lettres qui fut fondée en 1838, revient pourtant sans cesse sous la plume des publicistes qui veulent élargir le lectorat. La première série comprend quinze volumes, parus entre le 6 février 1831 et le 22 avril 1838. La périodicité de ces cahiers de quinze pages en moyenne est hebdomadaire. Chaque livraison est accompagnée de deux hors-texte : la formule est fixée. L'originalité de la première version de L'Artiste, dirigée d'abord par Achille Ricourt, est de placer sur un pied d'égalité le texte et l'image (planches en hors-texte et vignettes d'illustration). Aux grands critiques débutants que sont Jules Janin ou Gustave Planche répondent les frères Johannot, Devéria ou Gavarni. Balzac donne Le Chef-d'œuvre inconnu, modèle du roman philosophique sur l'art. Léon Noël lithographie les portraits des artistes à la mode et des grandes figures du théâtre romantique. Le projet se veut d'emblée universaliste. Le Salon constitue la trame essentielle des livraisons hebdomadaires et se suit comme un feuilleton. De 1831 à 1838, la revue prétend haut et fort défendre les valeurs du romantisme et porter les couleurs de Delacroix – dont les collaborations sont en réalité des plus limitées. Dans la complexité des réseaux du Paris des années romantiques, on peut cerner ce que Léon Gozlan appela « la bande de L'Artiste » et trouver ses points de ralliement, cafés, théâtre, lieux d'exposition... La quête principale menée par la revue, à Paris, mais aussi très largement en province, est double : elle cherche le renouvellement dans les arts et surtout à définir l'école française contemporaine. Cette vision panoramique englobe la vie théâtrale et lyrique, le style de vie « romantique » avec ses modes, ses bals et ses misères... Elle est indissociable d'une vision historique qui donne sens au musée et à l'histoire de l'art. Par le biais de fictions « en costumes » ou d'études sérieuses, L'Artiste fait revivre les maîtres d'autrefois pour expliquer ceux du présent. La cohérence du projet, à travers les directorats successifs, est donc prépondérante et explique sans doute la pérennité du titre. Elle transcende la dispersion apparente des sommaires et l'impressionnante liste des artistes cités dans la revue, qui font de L'Artisteune comédie humaine des arts. Le premier des combats menés par L'Artiste, et qui permet les autres, c'est la défense de l'éminente dignité du critique d'art. Le singulier du titre confère à ce héros des temps nouveaux un rayonnement égal à celui du poète. Ensuite, la revue prône, dans quelques domaines bien arrêtés, des formes artistiques nouvelles qui doivent tout à l'impulsion romantique, même si elles n'en conservent pas la lettre. Elle prend la défense de la sculpture, art mal aimé que L'Artiste prétend rendre populaire (recommandant des artistes médiévalistes comme Antonin Moine, Félicie de Fauveau, Aimé Chenavard ou Marie d'Orléans), des monuments historiques et de l'architecture moderne, de l'estampe enfin, trois lignes de forces autour desquelles s'articule sa pensée. La défense de l'estampe est bien évidemment centrale, combat dominant qui fut sans doute le seul victorieux durant ces années-là. Avec ses estampes, des lithographies d'abord puis, de plus en plus d'eaux-fortes, L'Artiste méritait d'être collectionné comme une œuvre d'art à part entière. En 1838 s'arrête la première série. La seconde publication de 1838, avec une typographie et un format différents, correspondant à une formule renouvelée et plus luxueuse, est le premier de la deuxième série de L'Artiste. Le successeur de Ricourt, Hippolyte Delaunay, entend améliorer la substance de son journal. Il conserve Janin comme rédacteur en chef jusqu'en 1840. Les articles seront désormais signés, on ne donnera de nouvelles que du monde de l'art, on insistera sur la province, enfin, on introduira les lecteurs « dans les ateliers ». Créée en 1831 pour défendre et illustrer les valeurs nouvelles du romantisme, la revue L'Artiste connut jusqu'en 1904 une existence tumultueuse. Elle constitue une source essentielle pour connaître l'histoire de l'art et l'histoire littéraire du XIXe siècle français. De nombreux jeunes artistes, les Johannot, Decamps, Raffet, collaborent à la revue et lui donnent, au premier abord, une coloration nettement « romantique ». Le jeune critique Jules Janin est omniprésent ; Balzac y écrit occasionnellement des nouvelles ; Chateaubriand y donne des avis d'architecture ; George Sand y parle de théâtre. C'est dans L'Artiste que l'on trouve alors les traductions des contes fantastiques d'Hoffmann. Les critiques y lisent, en guise de modèle suscitant un nouvel engouement, des extraits des Salons de Diderot. Par la suite, la revue accueillit les signatures de Nerval ou de Théophile Gautier. C'est sur cette trompeuse liste de noms glorieux que L'Artiste a trop souvent été jugée : on en a conclu, sans la lire, que la revue avait été formée pour accueillir les grands prophètes du romantisme, populariser leurs idées et qu'elle y était parvenue avec éclat – avant de s'assoupir jusqu'en 1904. La réalité est plus complexe. Les unions sacrées ne durent guère après les victoires. La bataille du romantisme gagnée, comment pouvait évoluer L'Artiste ? Après l'entrée de Delacroix à l'Institut, la revue perd de son élan et, en un certain sens, voit se dissoudre sa raison d'être. Non que son but ultime eût été de faire entrer le lion sous la coupole, mais la lutte contre les valeurs académiques, même si l'École des beaux arts demeure une inexpugnable citadelle, n'a plus vraiment lieu d'être après l'Exposition universelle de 1855. En 1849, Arsène Houssaye devient directeur de la Comédie-Française et abandonne la revue. Son frère Édouard associé à Xavier Aubryet prend alors les rênes. Ils laissent à Gautier le rôle de rédacteur en chef de 1847 à 1858, mais son ombre s'étend sur l'ensemble de la série. Il y exerce une influence comparable à ce qu'avait été celle de Janin. Flaubert, les Goncourt collaborent. Charles Blanc, Paul Mantz, Clément de Ris, Philippe de Chennevières, Paul de Saint-Victor y sont les critiques les plus marquants. La revue a trouvé son rythme, la formule se stabilise et ses fidèles sont plus nombreux. Cet Artiste de 1856 affiche clairement la nostalgie de l'époque où il était une revue militante. Après 1859, Arsène Houssaye reprend la direction jusqu'en 1880 mais le jeune inventeur de vingt ans est loin. C'est le début de la décadence de L'Artiste, qui s'achève « au plus petit bruit » en 1904. La cinquième série s'échelonne, en seize volumes, du 12 mars 1848 au 17 février 1856. Entre le 1er mai 1848 et le 1er décembre 1854, la revue paraît de manière bimensuelle. Elle reprend sa périodicité hebdomadaire de 1854 à 1856. À partir de la fusion de L'Artiste avec La Revue de Paris, les volumes sont devenus moins denses : les nouvelles brèves sont moins nombreuses et variées, les feuilletons romanesques non artistiques sont plus longs et plus nombreux, la poésie, plus qu'inégale, omniprésente. Il est aisé de déduire, à la lecture, que le lectorat a subtilement changé : L'Artiste semble s'adresser beaucoup plus à un public cultivé, souhaitant se tenir au courant des nouveautés de l'édition et de l'actualité des Salons, qu'au public des artistes eux-mêmes, qui constituait sa « cible » principale à l'époque de la création, en 1831. Ce qui subsiste de l'ancien sommaire est assez clair : l'actualité architecturale, la question des restaurations des monuments historiques, les nouveautés de la librairie sous une forme publicitaire plus ou moins masquée, les récits de voyages et les descriptions de pays étrangers. Dans ses rubriques, L'Artiste a instauré une « République des arts », avant la vraie république. Lors de la révolution, il met en avant ses rédacteurs les plus avancés, Alphonse Esquiros ou Pétrus Borel. Avec la révolution de 1848, L'Artiste pense, dans bien des domaines, être arrivé au terme de ses combats. Malgré ces bonnes intentions, promesses en partie non tenues, il est incontestable que la revue, à partir de cette deuxième série qui commence en 1838, s'affadit. Huit volumes, parus entre le 29 avril 1838 et le 26 décembre 1841, s'ajoutent aux quinze premiers sur les rayonnages des librairies. Il s'était agi, dans la première série de faire la « publicité des arts », c'est-à-dire d'en donner le goût à un large public. Cette volonté d'éducation est moins prégnante dans les années qui suivent. La manière dont la revue affirme qu'elle ne mène aucun combat partisan est remarquable. Elle entre pour dix ans dans une phase nouvelle où ses combats se dissimuleront sous un masque d'objectivité. Le romantisme « excessif » est visé. L'Artiste, sentant le reflux, devient-il le journal du « juste milieu » artistique : une revue des arts écrite plus pour le public « bourgeois » que pour celui des artistes ? La meilleure qualité de l'impression et de la typographie trahit alors ce changement d'attitude. Mais les planches se font moins nombreuses, parfois une seule par livraison. Cette reprise en main, sous l'action de Delaunay et Janin, faillit faire péricliter l'entreprise. La troisième série, très courte puisqu'elle ne comprend que cinq volumes, parue entre le 7 janvier 1842 et le 28 avril 1844, traduit les difficultés de L'Artiste de Delaunay. Janin continue à beaucoup écrire, Arsène Houssaye le rejoint, mais il est manifeste que la revue s'épuise et certains indices permettent de supposer qu'elle perd des lecteurs. Est-ce le prix d'un recentrage affirmé sur les arts visuels au détriment du théâtre et de la vie mondaine ? Ce qui est sûr, c'est que cette série de transitions permet la montée en puissance d'un jeune loup du Paris artistique et littéraire, Arsène Houssaye. Il transforma L'Artiste en tribune pour promouvoir un petit groupe soudé par de forts liens personnels. En 1843, Arsène Houssaye reprend la revue et succède à Delaunay. Nerval s'en réjouit. C'est la prise du pouvoir par le groupe des anciens de la rue du Doyenné, évoqués par Gérard dans les Petits Châteaux de Bohême. Du 5 mai 1844 au 5 mars 1848, L'Artiste rénové, au long de onze volumes, retravaille ses anciennes rubriques. On y trouve toujours des textes de fiction, des comptes rendus détaillés des Salons, l'actualité des lettres et des arts. Le théâtre, passion de Houssaye, reprend tous ses droits. C'est un second âge d'or, avec des signatures comme celles de Gautier, Nerval, Murger, Champfleury. La revue sait bien évoluer dans le sens du goût du public. Houssaye n'est cependant pas dupe. Le temps de la lutte pour le romantisme semble passé. C'est dans ces années que la revue constitue véritablement « un pouvoir », autant dans le monde des spectacles que dans celui des arts plastiques. La grande idée directrice de Houssaye réside en un mot qui revient sans cesse dans L'Artiste de cette époque : le « renouveau ». En juillet 1845, Arsène Houssaye rachète la Revue de Paris. Les deux titres fusionnent. François Buloz, le propriétaire de la Revue des deux mondes, qui était aussi l'un des propriétaires de la Revue de Parisprend des parts dans L'Artiste, formant ainsi un groupe de presse très influent dans la France duXIXe siècle. Le riche poète Jules Lefèvre-Deumier compte comme le principal bailleur de fonds de cette nouvelle construction. À la date du 13 juillet 1845, la revue s'intitule L'Artiste-revue de Paris. La mention apparaît en titre courant en haut de chaque page. C'est l'époque où une certaine spéculation s'établit sur les estampes de la revue." | Déclaration d’intention : | C'est un beau mot, artiste ! C'est comme si l'on disait intelligent. Heureux ceux qui comprennent, ils font mieux que tout savoir, ils jouissent de tout ce qui se fait. Ils sont artistes pour eux tout seuls. Si donc vous me montrez là dans le palais, là-haut dans la mansarde, un Homme avec ce mot artiste, je le salue, je lui porte envie là ou là ; c'est un heureux de ce monde, c'est un rêveur, c'est un insouciant philosophe peu inquiet des faits matériels de la vie, qui n'en conçoit ni la portée ni le danger. Digne homme qui n'a souci que de son, de couleur, d'air, d'aine et de cœur, qui de tout le reste ne sait pas un mot, et qui est sûr de vivre tant qu'il y aura dans le monde quelque chose qu'on appellera de l'art. Mais d'autre part n'être pas artiste! C’est-à-dire renoncer à la vie de l'aine, renoncée à l'analyse; tout voir sans rien distinguer, n'avoir ni admiration, ni dédain, ni justesse dans le regard, ni feu dans le cœur, ni passion dans l’âme ; rester froid devant un chef-d’œuvre! Ne distinguer dans la création ni beauté, ni laideur; ne comprendre aucun délassement de l'esprit; ni la poésie, ni le drame, ni la musique, ni Phidias, ni Michel-Ange, ni Rossini! Ne pas comprendre ce mot artiste, qui plus est ne pas le regretter, quelle mort! L'art c'est la vie, l'art c'est un don de Vaine sous des formes diverses, l’âme c'est l'amitié, c'est l'amour, c'est la colère, c'est la vengeance, c'est la terreur, c'est la voix qui réveille les peuples, qui chante la liberté, qui délivre les esclaves, qui punit le puissant, qui soutient le faible ; l'art c'est la dernière gloire à laquelle aspirent les nations maîtresses, c'est la borne fatale où se brisent les barbares ; l'art c'est la Grèce, c'est l’Italie, c'est la France, c'est l'Allemagne, c'est l’Angleterre. Philosophie, histoire, drame, peinture, qu'importe le nom? Tout cela c'est de l'art. Je ne vous dirai pas où est l'art : dites-moi s'il se peut où il n'est pas. Sortez de votre demeure ; abandonnez un instant vos chefs d'oeuvre à vous, vos bonnes gravures pendues à la muraille , votre Apollon de bronze, le bras de votre fauteuil qui représente le col d'un cigne , votre pendule dorée au-dessus de laquelle Bélisaire ou Homère demande l'aumône aux passans , en rentrant vous retrouverez tout l'art qui orne votre demeure ; mais au-dehors , dans la rue, vous allez encore le trouver partout, courant çà et là , à pied, en voiture ; voyez-le en petit tablier et en cornette sortant d'un magasin de modes ; voyez-le en grand habit et tout botté monté sur un beau cheval ; voyez-le vendant, achetant, présidant aux plus minutieux détails de la vie ; tour à tour bourgeois , grand seigneur, peintre ou laquais ; toujours art quel que soit son costume ; s'appropriant h toutes les fortunes, se pliant à tous les caprices, forçant toutes les portes, se faisant comprendre même du Béotien ; invincible dans une grande ville, combattu en province, vaincu dans nos pauvres campagnes, jamais abattu , jamais découragé, fort comme un principe, baissant la tête pendant les révolutions, et la relevant fièrement l'instant d'après, immortel. On a dit que l'ordre était le soutien des nations ; d'autres ont regardé la loi comme la reine du monde ; ceux-ci ont choisi la force; tous ont eu tort. L'art est le maître souverain ; l'art en haut et en bas. L'art façonne l'or des colliers de cour et le fer des charrues ; l'art du peuple d'abord, et ensuite l'art pour les grands; l'art des riches, l'art qui se multiplie sous tous les points. Voyez-le chez les heureux : il serpente également sous la dentelle et sur le fer; il polit le diamant et il peint les lambris; il dore la porcelaine et le cuivre, il tresse la laine, il broie les couleurs, il anime de mille sons de méchantes cordes tendues sur un morceau de hêtre, il fait circuler à la fois la pensée et l'argent des peuples. L'art ainsi vu est donc un point de ralliement auquel on ne saurait trop se réunir, un mot d'ordre qu'on ne peut trop répéter, un mot du peuple et un mot de grands seigneurs. Accourez tous avec nous, artistes, réunissons-nous, coalisons-nous, faisons de l'art ensemble, parlons-en quand nous n'en ferons pas, voilà notre but. Vanter le beau, siffler le laid, faire la guerre au difforme et nous réjouir en chœur quand nous découvrirons qu'il y a talent quelque part, c'est une assez belle destinée, c'est une heureuse vie féconde en sarcasmes, en découvertes, en rares bonheurs, en désappointements cruels, en insomnies et en surprises de chaque instant, une vie de hasard, une vie d'artiste en un mot. Il y a deux divisions principales à faire entre les artistes. L'homme qui sait et qui juge, et l'homme qui compose et qui crée. Le premier est l'artiste heureux spectateur de tous les efforts, applaudissant tous les succès; le second est l'artiste laborieux, acteur intéressé dans cette noble lutte des arts, plein de vastes espérances, et à défaut du présent, jouissant de l'avenir. De ces deux espèces d'artistes on compose une excellente manière d'être artiste; il y a des artistes qui jugent et qui créent , auteurs et acteurs à la fois , comme Molière ; c'est aux uns et aux autres que nous offrons cette tribune. A l'homme qui juge des jugemens à porter, h l'homme qui compose des gravures pour reproduire sa composition favorite, à tous les deux un journal à écrire ; un journal où ils diront franchement leur pensée la plus intime ; toujours assurés qu'ils seront de ne pas se blesser les uns les autres ; divisés sur un point, ils seront toujours réunis par l'amour de l'art; en fait de discussion savoir ce qu'on dit, c'est là tout le secret pour être tolérant et modéré. Outre cette première division entre l'artiste qui juge et l'artiste créateur, nous aurions mille divisions h établir, nous en indiquerons quelques-unes, ne fut-ce que pour faire comprendre combien c'est vraiment tout un inonde et non pas un petit peuple à part que nous avons à exploiter. On naît artiste. Enfant, mille rêveries confuses, jeune homme mille essais inachevés, homme fait des essais encore, le plus souvent imparfaits. A un pareil artiste il ne faut que la page d'un livre , la pierre d'un lithographe , la toile d'un tableau ; il est artiste nonchalamment, il jette au hasard sa pensée , sa ligne commencée , son esquisse inachevée, sa stance sans conclusion. Voilà pour nous un artiste précieux, un artiste insouciant de son oeuvre, jetant dans le monde des êtres nouveaux comme Charlet ou Vernet, quand ces êtres sont dans le monde ne s'en inquiétant pas davantage que s'ils n'existaient pas. Nous adopterons avec transport ces enfants abandonnés d'une muse échevelée et sans conduite, c'est notre bien, ce sont nos enfants à nous, et à l'avance nous les adoptons. Quelques-uns fuient la ville, cherchent la nature verdoyante, se plaisent à voir grimper la vigne au haut du roc, à suivre la vache qui broute, à saisir sur le fait les derniers rayons du soleil, la molle lueur de la lune qui se lève ; ils se plaisent dans l’étable, dans la cabane du villageoise, il chantent les bergers, dessinent les bois, ils aiment fixer la barque entre les saules du lacs ; Paris aimera cette nature champêtre, ce monde bêlant, ces hautes herbes, ces effets de lumières. L’idylle bien faite à son charme, nous accueillerons l’idylle même, pourvu qu’elle soit digne d’un consul Trouvez un recoin du monde habité qui ne soit pas du domaine de l'artiste. L'un se fait beau, se pare de son habit noir ; il noue sa cravate comme un simple mortel voilà dans un salon. Posez devant lui, élégants du jour petites maîtresses fardées, aimable vice élégant, venez poser devant l'inflexible crayon, aristocrates, ménages parisiens dans tout votre luxe et votre indigence, et en un clin d'œil les voilà tous croqués : l'artiste, c'est aussi bien le faiseur de caricatures que l'écrivain des Caractères que le ridicule vienne, écrit ou dessiné, qu'importe! Il y aura cela de bon, en cette affaire, que souvent on le verra imprimé et dessiné à la fois, doublement fustigé, doublement commenté, expliqué; comme faisait Rabelais, unissant les Songes drolatiques à l'histoire de Pantagruel. Un autre artiste s'assied sur le bord du chemin, et prête l'oreille au loin ; il entend venir une armée, et avec cette armée tout l'empire, et dans cet empire il choisit quelques soldats de préférence. Par exemple, de vieux soldats aux longues moustaches, qui tirent un cochon par la queue, ou qui guillotinent une innocente volaille, ou qui jouent à la drogue un pot de bière écumant jusqu'aux bords, voilà va bien. Cantinières, tambour, sergent, tout est là tout le camp, tous ses plaisirs, toute la guerre, tous ses dangers, nous en avons eu six cent mille comme ceux-là Puis change ma volonté d'artiste; il laisse les vieux lurons, et s'en prend aux jeunes. Vient Jean-Jean, le chapeau renversé sur la tête, l'habit neuf, et qui trouve son fusil lourd : Jean-Jean est un type tout de suite. Vous avez les deux extrêmes de l’armée, même courage des deux parts ; croyez-vous que cela ne vaille pas bien une histoire? Et si à ces tableaux vous joignez par exemple, une chanson de Béranger, bien faite , une des bonnes ; ne seront-ce pas là deux belles pages, et où trouverez-vous mieux ? Or il n'y a que l'union de tous les arts qui puisse arriver à ce résultat Vraiment imaginerait-on que l'art ne consiste qu'à peindre, que l’art n’appartient qu’à celui qui manie le pinceau et la plume ? Oh que non ! Il n’est personne à qui il ne soit donné de se dire : et moi aussi ! Je n’ai pas dit où je mets l’art ; mais j’estime singulièrement un bon repas, un bel habit, une chaussure commode, un meuble bien fait ; je mets avant tout dans le bonheur le bien être de la vie, la commodité, l’aisance, le bon marché. D’autant plus que l’art s’en va. Au théâtre tout s’oublie : le goût, la décence, le bon ton, le costume, le chant, tout se perd. La danse languit ; la tragédie est perdu à jamais ; la comédie est désolée ; le drame gronde et agit les poings fermés. Adieu la terreur, la pitié, les rires, les larmes, l’intérêt, les émotions fortes : c’est que nous aurons de la comédie quand on s’occupera de comédie. De même en peinture on fait du rouge, on fait bleu, on fait indigo, on fait monstre, et la poésie à la fin (malheur à elle!) est comme la peinture. De même pour la musique elle miaule, elle hurle, elle chante faux, elle a besoin de se faire italienne pour être quelque chose, de même pour tout ce qui n'est pas positif. Il faut donc beaucoup s'occuper de ces bonnes choses qui se perdent ; c'est un devoir de citoyen, c'est un besoin d'honnête homme et d'homme heureux. Nous avons vu que l'artiste ne manquera pas à l'œuvre ; nous voyons que l'œuvre ne manquera pas à l’artiste, nul prétexte donc pour reculer. Nul prétexte pour rester plus long-temps dans cet engourdissement funeste, pour prolonger cette indifférence mortelle, pour nous courber en esclaves sous le positif de la vie, pour laisser tout dans cet indigne abandon, nous si grand peuple, si instruit, si riche, si blasé, et qui sommes si près de n'avoir rien de nouveau à sentir. Un Italien l'a dit quand on emportait l'Apollon du Belvédère : « Il faut que l'Apollon suive la Vénus , disait le proconsul français. Emportez , reprit l'artiste, qu'il rejoigne la Vénus; mais, c'est dommage, ils ne feront jamais d'entans chez vous! » Ne ferons-nous pas mentir l'Italien ? En fait d'artiste, j'oubliais l'artiste à la manière de Sterne. Le contemplatif, le rêveur, le grave historien des petites choses, suivant à perdre haleine le rien dans toutes ses formes, occupé de son, d'air, de bruits légers, d'ondulations dans l'onde, d'un grain de sable ; faisant un drame avec une tabatière de corne ou un bouquet fané, appelant un notaire pour acheter une paire de bas , Yorick en un mot, Yorick sous toutes les formes , Yorick notre ami , notre auteur favori , notre rêveur, il sera là; c'est sur lui que nous comptons pour ses petites histoires , ses contes plaisans, ses descriptions et son art de tout conter et de tout peindre ; il n'y a pas de journal, il y a très-peu de livres sans Yorick. Après Yorick, Théodore ; après Sterne, Hoffman. C’est une découverte toute moderne que le fantastique. C’est une nouvelle source d’émotions que l’artiqte fantastique, le fantasque, qui remplace l’arlequin usé, le pantalon fatigué, tous les gilles du monde ; le fantasque, qui n’est autre chose que le Pasquin de notre siècle. Singulier animal qui se vautre ou qui vole, qui rit ou qui pleure, qui fait l'amour ou qui égratigne ; un cauchemar est son inspiration la plus puissante, le rêve est son état naturel, l'ivrognerie est sa vie, le son est sa folie; grand enfant souvent niais, quelquefois sublime ; il est de toutes les opinions, de tous les partis, de toutes les vérités, de tous les mensonges, de tous les écots , ne payant jamais le sien. L'artiste fantastique n'a pas été encore défini ; c'est de l'art et un vice de l'art pour faire pardonner le vice, un vice pour servir de relief à l'art. Plus il y a d'art plus il faut de folie; le neveu de Banceau, par exemple, et la danse des Morts, Hoffmann et Boulanger. Le premier des conteurs fantastiques est saint Augustin. Quel conteur ! Voilà une mine toute nouvelle que nous exploiterons certainement. En un mot, avant six mois nous saurons au juste s'il y a de l'art en France, et quel art, et combien, et à quel prix, et de quel intérêt, et de quelles émotions suivies. Comme nous parlerons de l'art dans toute son étendue et le plus complétement que nous pourrons et sous toutes ses faces, nous saurons bien ce qu'il faudra penser avant pende cette grande question : L'art est-il encore possible parmi nous? Question grave, puisque sous un certain rapport elle se rattache à la fois aux croyances et à l'avenir des peuples. Et d'ailleurs nous avons été si ballottés depuis un an, nous avons subi tant de secousses , tant de malheurs , nous avons passé à travers des extrêmes si bizarres, si odieux , si glorieux , nous avons tremblé pour tant d'existences , pleuré sur tant de tombeaux , qu'il est temps enfin que nous fassions trève à toutes ces agitations. Il est temps que notre vie se calme. Il est temps que nous prenions haleine. Soyons artistes encore un jour s'il faut que nous finissions un jour. Dans les temps de révolution, l'art c'est le repos; dans les temps de calme, l'art c'est le bonheur ! JULES JANIN. | Sources : | BnF ; sur Gallica en version numérique | Bibliographie : | Peter J.EDWARDS, Dossier : La revue « L'Artiste » (1831-1904). Notice bibliographique, Romantisme, 1990, n°67. pp. 111-118. | Archives : | Ms242 / Pièce 14 conservée à la bibliothèque de l'INHA , lettre de Delacroix à Achille Ricourt | Liens : | http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343612621/date.r=L%27Artiste+%3A+journal+de+la+litt%C3%A9rature+et+des+beaux-arts.langFR / http://www.universalis.fr/encyclopedie/l-artiste-revue-d-art/ , http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1990_num_20_67_5655 |
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