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Petites REvues de LIttérature et d'Art
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Éditeur G. Wildenstein
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Titre : La Gazette des Beaux-Arts Titre original : Jusqu'en 1906 « Courrier Européen de l'Art et de la Curiosité » Type de document : texte imprimé Auteurs : Édouard Houssaye, Fondateur ; Charles Blanc, Fondateur ; Charles Blanc, Directeur de publication ; Théodore Reinach, Directeur de publication ; Georges Wildenstein, Directeur de publication ; Daniel Wildenstein, Directeur de publication ; Charles Blanc, Rédacteur en chef Editeur : Paris : Gazette des beaux-arts Année de publication : 1859-2002 Autre Editeur : New-York [Etats-Unis] : G. Wildenstein Note générale : « Paris ». Date de parution.
Jusqu'en Juillet 1861 la mention « Rédacteur en Chef, M. Charles Blanc. Ancien directeur des Beaux-Arts ».
De 1873 à 1878 « 3, Rue Laffitte, 3 ».
La Chronique des arts et de la curiosité (commence en 1861 et devient Beaux-arts en 1923)
De 1878 à 1908 « 8, Rue Favart, 8 ». A partir de 1908 Fg St Germain. "
Langues : Français (fre) Mots-clés : Beaux-arts sculptures peintures art moderne art contemporai marché de l'art curiosité musée collections Note de contenu : Critiques d'art, chroniques artistiques, actualité de l'art.
« Arts à l'Exposition Universelle de 1900. » Gazette des Beaux-Arts, 1er octobre 1900. (numéro spécial)
« La peinture et la gravure à Aix-en- Provence aux XVle, XVIIe et XVIIIe siècles (1530-1790) », Gazette des Beaux- Arts, juillet-septembre, 1971 (numéro spécial).Dimensions : In 8° (28x30 cm) Périodicité : Bimensuel (1859-juin 1861) ; mensuel (juillet 1861-2002) ; trimestriel (1917-1919) Prix : En 1872 : Paris : Un an, 40 fr ; six mois,20 fr.; trois mois, 10 fr. Départements. 44 fr.; 22 fr.; 11 fr. Étranger le port en sus. Nombre de pages : Un minimum de 80 pages, et un maximum d'environ 105 pages par livraison Couvertures : La couverture ne change pas. Il s'agit d'une gravure (sur cuivre), gravure classique, contenant de nombreuses références à l'Antiquité. Le titre est placé au centre de cette gravure qui l'intègre véritablement dans une cadre architectural, avec la présence d'un bas relief au bas de la gravure. Illustrations : Il y a la présence de nombreuses illustrations, il s'agit uniquement de gravures (majoritairement des eaux-fortes). Il y a pour chaque mois, à partir du moment où la revue devient mensuelle (juillet 1861) un minimum de 16 gravures et un maximum d'environ 30 gravures dans certaines parutions. Publicités : Il y a des publicités présentes. Elles se trouvent juste après la table des matières, on peut trouver parfois des illustrations (gravures) mais ce n'est pas très récurrent. La plupart des annonceurs sont des imprimeurs-éditeurs. Mais on trouve également des banques. Numéros parus : 1606 numéros Histoire de la revue : "Revue d’art française fondée en 1859, la Gazette des Beaux-Arts a constitué une référence internationale en histoire de l’art pendant près de 150 ans. Elle a disparu en 2002, un an après le décès de son dernier directeur, Daniel Wildenstein, dont la famille avait racheté la revue en 1928. La Gazette des Beaux-arts se distingue par sa longévité et son histoire remarquable, fondatrice de la discipline. Parmi ses directeurs on trouve l’amateur d’art Charles Ephrussi, le critique Roger Marx, l’hélléniste Théodore Reinach, et le riche collectionneur Georges Wildenstein. Son premier rédacteur en chef fut Charles Blanc, académicien et professeur d’esthétique au Collège de France, dont les théories sur la couleur auraient influencé Van Gogh. Du côté des collaborateurs, les artistes de renom côtoient les écrivains : Paul Signac ou Emile Bernard signèrent des articles, tout comme les frères Goncourt, qui offrirent à la Gazette des contributions sur l’art du XVIIIe siècle, ou Ernest Renan, sur l’art phénicien, Marcel Proust, sur Ruskin, André Gide, sur le Salon d’automne de 1905. Des collectionneurs tel Seymour de Ricci, et surtout de nombreux historiens et historiens d’art comme Théodore Duret, Bernard Berenson, Germain Bazin, Henri Focillon, André Chastel, ou des spécialistes venus d’autres horizons comme Claude Levi-Strauss ou Erwin Panofsky contribuèrent au rayonnement international de la revue." (Lucile Trunel, blog Gallica, http://blog.bnf.fr/gallica/?p=1451 ) Déclaration d’intention : La Gazette des Beaux-Arts, que nous fondons aujourd'hui, n'eût pas été possible il y a quinze ans; elle n'aurait pas eu alors huit cents souscripteurs: maintenant, si elle est faite comme nous la comprenons, elle en peut avoir facilement dix mille. D'où vient ce changement, et que s'est-il passé dans le monde? Comment s'est formé en si peu de temps cet immense public, si prompt à s'intéresser aux choses d'art? Ce n'est pas, sans doute, que nos organes aient acquis une délicatesse imprévue, que notre esprit se soit tout à coup raffiné; la France est depuis longtemps la nation le mieux façonnée à toutes les jouissances du goût; mais, il y a quinze ans, le public regardait ailleurs. Les grands artistes de la tribune, de la politique, de l'histoire, occupaient alors toute la scène, et l'art n'était qu'un agréable intermède dans ce drame émouvant des intelligences en rivalité, en lutte et en action... Que d'événements, depuis, ont détourné le cours de nos idées! Que de personnages ont dû vouloir un autre aliment aux activités de leur esprit! Combien d'âmes découragées ont cherché, dans le culte de l'art, une haute consolation, un libre refuge! La France, d'ailleurs, a vu surgir de toutes parts des fortunes subites comme au temps de Law; et, au moment où nous pouvions nous attendre à une invasion de ces barbares qui sont toujours à nos portes, il s'est trouvé, au contraire, que les millionnaires de la veille, s'improvisant amateurs, se sont passé la fantaisie d'aimer la peinture, et le luxe de s'y connaître. De là ce renchérissement extraordinaire de tous les objets d'art, et particulièrement des livres où l'on espérait puiser à la hâte et en secret ['érudition du quart d'heure. De là cet encombrement des salles de ventes où l'on vient se disputer, à prix d'or, les tableaux de maîtres, les estampes rares, les bronzes, les ivoires, les émaux, les médailles, et où nous voyons tous les jours, mêlés à l'arrière-garde de la curiosité, cent figures nouvelles de jeunes hommes inconnus, ardents encore comme des novices, et déjà madrés comme des vétérans. / Mais il est d'autres causes à ce prodigieux accroissement du nombre des curieux : ce sont les expositions universelles de Londres, de Paris, de Manchester; c'est la facilité de parcourir le monde, c'est l'occasion de voir souvent de belles choses et d'être averti de leur beauté. Tel homme, indifférent jusqu'alors, a senti tout à coup s'éveiller en lui un vague désir d'initiation aux grands mystères de l'art, lorsque, porté en quelques heures de l'extrémité d'un pays à l'autre, il s'est trouvé en présence de tant de merveilles accumulées dans ces palais lumineux où l'univers se montre à l'univers, où l'humanité a conscience de sa grandeur, où l'art se fait illustre, comme dit Montaigne, par tant de visages. / Il faut le dire aussi, le journalisme a bien contribué pour sa large part au recrutement des amateurs. Autrefois la critique était légère, inconsistante, étourdie; elle se contentait de quelques tirades éloquentes, se payait volontiers de mots heureux, et n'en imposait pas moins à l'ignorance du public. Aujourd'hui, elle s'est rangée; elle est devenue réservée, attentive, studieuse; elle s'est drapée dans l'érudition; elle a voulu non-seulement tout savoir mais tout approfondir, tandis que le lecteur, devenu à son tour plus difficile, demandait moins de raisonnements vagues et plus de faits certains. / Cette transformation de la critique d'art, parallèle aux progrès de notre école historique, est due en partie aux influences de l'Allemagne. A son exemple, nous avons acquis la patience de fouir les bibliothèques, de compulser les chartes, de déchiffrer les manuscrits. Tel journaliste superficiel s'est fait archéologue; tel critique évaporé songe à l'Académie des inscriptions, de sorte que nos Français, qui avaient toujours eu de la grâce, y ont ajouté le savoir. Mais comme une telle réaction ne pouvait s'opérer sans quelques excès, il s'est trouvé qu'on a un peu exagéré l'importance de certaines fouilles; que les chercheurs se sont égarés dans les minuties, et ont perdu de vue ce qui constituait justement la physionomie originale de l'art français. La précision des dates est un véritable trésor sans doute, à la condition pourtant que les chiffres ne nous feront pas oublier la philosophie des choses. Parce que les registres de l'état civil auront fourni quelquefois des faits intéressants ou des rapprochements lumineux, il ne faut pas nous laisser envahir par la marée montante des paperasses; car enfin, si les actes de baptême, les petits billets retrouvés, les autographes intimes ont infiniment d'intérêt lorsqu'il s'agit d'un de ces artistes supérieurs qui honorent l'humanité, on conviendra qu'il n'en est pas tout à fait de même quand on s'occupe du premier peintre de la mairie de Saint-Flour. L'important, d'ailleurs, au sujet des grands hommes, n'est pas de savoir ce qui s'est passé dans leur ménage, mais ce qui se passait dans leur esprit. / Maintenant que la critique est devenue suffisamment sérieuse, gardons-nous des inutiles détails, et surtout de revenir au genre ennuyeux. Le temps n'est plus où les livres d'art, écrits sans aucun charme, et partant sans aucun art, avaient le singulier privilège de nous fatiguer en nous parlant de ce qui doit nous ravir. Aussi bien, trop d'érudition finit par encombrer le cerveau et risquerait d'étouffer en nous, à la longue, toute émotion naïve et de déflorer la délicatesse de nos sentiments. Tâchons de ressembler aux Allemands par leur bon côté, car il est de ces Tudesques, d'ailleurs fort estimables, qui, à force de compiler, s'embrouillent la mémoire de faits et de dates, et s'indigèrent de science, au point qu'on peut leur appliquer à merveille ce mot charmant que disait à un de nos amis le bibliothécaire de la Minerve: Più s'impara e più s'imbroglio. / La France, disons-nous, a toujours été le pays de la critique par excellence: clarté, justesse, mesure, finesse d'observation, sentiment exquis des convenances, nous avons toutes les qualités qui constituent le critique, et il n'est pas jusqu'à nos défauts qui ne nous servent dans ce rôle. Ce qui nous manque, en effet, du côté de la poésie, de l'imagination, nous l'avons surabondamment du côté de l'esprit, et la vieille ironie gauloise, si elle est souvent hostile à l'enthousiasme, est au moins une arme toute prête contre les égarements du goût. Il est donc surprenant que l'on affecte aujourd'hui de contester à la France l'incontestable supériorité de sa critique, comme si la nation qui a vu à l'œuvre tant de fins connaisseurs, les maréchaux de la curiosité, ainsi que les appelait le duc de Choiseul, les Marolles, les de Piles, les Gersaint, les Mariette, les Basan, les Regnault Delalande, pouvait avoir perdu tout à coup cette rare sagacité de jugement qui est le fruit le plus indigène de son génie. Oui, la littérature française est aujourd'hui en mesure d'exercer la critique avec plus d'éclat que jamais, puisqu'elle est à la fois lestée de science et en possession de tous les genres de style. La science? elle se manifeste plus que jamais dans les diverses ramifications des arts du dessin. Le style? en aucun temps on ne lui fit accomplir plus d'évolutions et de tours de force. Ici, c'est un des rose-croix de la franc-maçonnerie littéraire qui fait du dictionnaire une palette, écrit en ronde bosse, et, pétrissant les mots comme de l'argile, prête au langage étonné la réalité plastique des choses; là, au contraire, c'est un grave académicien qui parle du vrai, du bien et du beau, dans ce noble style français, originaire de la plus haute latinité et dont le secret n'est pas encore perdu; style ferme et clair, d'une élégance mâle et d'une sobre coloration, qui peint les idées comme les grands maîtres peignaient leurs fresques, avec ampleur, discrétion et autorité. L'un rédige, de cette plume qui a ciselé plus d'un chefd'œuvre, de lumineux rapports sur les monuments historiques de l'ancienne France; l'autre, après avoir réédifié ces monuments avec la passion d'un antiquaire, en parle avec l'érudition élégante d'un architecte rompu aux délicatesses du style. Ceux-ci, élevés dans les raffinements de la tradition, manient en maîtres un des sceptres de la critique, dans une revue qui s'est acquis la prépondérance intellectuelle partout où notre langue est parlée; celui-là, marchant sur les traces glorieuses d'Ottfried Muller, restitue les frontons mutilés ou disparus du Parthénon, tandis qu'un Athénien de Paris inscrit fièrement son nom sur les marbres de l'Acropole. Il en est qui s'appliquent à analyser, de la pointe la plus fine, les types et les manières des maîtres graveurs, ou qui, d'une main émue, dépouillent la correspondance de Nicolas Poussin. Il en est qui. inspecteurs honoraires des musées de l'Europe, les visitent et les décrivent pour une multitude inconnue de voyageurs sédentaires. Il en est, enfin, et des plus habiles, qui nous pardonneront d'être modestes pour leur compte, parce qu'ils partagent avec nous, depuis plusieurs années, des travaux qui nous ont valu la bienveillance du public. Et pendant ce temps, du fond de leur province, mille et mille amateurs nous envoient le fruit de leurs avides recherches; de tous côtés surgissent des Bénédictins de vingt ans, qui ont creusé dans des montagnes de parchemin et savent par cœur le fonds Béthune, le fonds Colbert, le fonds Brienne... De l'étranger nous viennent aussi des ouvrages de saine critique, et nous ne devons pas oublier que c'est l'Académie d'Anvers qui la première a donné l'exemple de ces catalogues substantiels, bien conçus, riches de renseignements, que réclame désormais la légitime exigence des amateurs. Le moment est donc venu de faire participer tout le monde à cette heureuse révolution des arts, en défrichant à nouveau le domaine de la critique. Avec ces qualités réunies, l'érudition et le sentiment, le fond et la forme, nos écrivains devenus antiquaires, nos antiquaires devenus écrivains, peuvent créer un centre d'où rayonneront les lumières de leur goût et la chaleur de leur enthousiasme. / C'est pour leur constituer un organe que nous avons fondé la Gazellé des Beaux-Arts. Sur les ailes de cette feuille volante leurs pensées se répandront, non pas en Europe, mais dans le monde entier, dans ce monde qu'a rapetissé la grandeur de l'homme, et qui, aux yeux de notre philosophie nouvelle, n'est plus qu'une province de ses royaumes futurs. En supprimant les distances, le génie humain a condamné les ténèbres à disparaître de la surface du globe. Et comment les dissiper, si on ne commence par faire briller les notions du beau? Comment rendre aimable la vérité, si ce n'est au moyen de l'art, qui en est la grâce? / Tenir la France au courant de ce qui se passe à l'étranger, et l'étranger au courant de ce qui se passe en France, tel est le but de cette Bevue. Au degré où en est la civilisation, le plus grand besoin des peuples est de se connaître les uns les autres. Beaucoup d'amateurs, beaucoup de ceux qui veulent le devenir, prennent une idée de l'Allemagne, de l'Italie, de la Hollande, de l'Angleterre, de l'Espagne, et, après un court voyage, ils en restent sur quelques notes tracées à la hâte pour venir en aide à leur mémoire. N'est-ce pas leur promettre un vif plaisir que de leur préparer des relations suivies avec les pays déjà parcourus, et de porter continuellement à leur connaissance les ouvrages nouveaux qu'on y produira, les découvertes précieuses qui s'y feront, les jeunes artistes qui arriveront à la gloire et ceux-là mêmes qui mériteraient un certificat de vie, les cabinets célèbres qui seront mis en vente, les beaux objets dont s'enrichiront les galeries publiques ou privées, tout ce qui peut enfin toucher l'âme d'un curieux? Pour réaliser ce programme, nous avons établi dans les diverses contrées de l'Europe, depuis Naples jusqu'à Saint-Pétersbourg, depuis Amsterdam jusqu'à Madrid et depuis Londres jusqu'à Berlin, des correspondants éclairés, vigilants et assidus. Mais, comme il n'est point de parole écrite qui puisse suppléer un dessin, nous avons dû prendre le parti de donner une configuration des objets d'art anciens ou modernes, rares ou inédits, dont il sera parlé dans le texte, tels que tableaux, sculptures, eaux-fortes, dessins de maîtres, nielles, vases grecs, médailles, monuments d'architecture, pièces d'orfévrerie, morceaux de haute curiosité. N'est-il pas permis de s'étonner, en effet, que dans un temps où l'on illustre toute chose et où abondent les feuilles pittoresques, personne n'ait encore songé à expliquer, par des gravures, la critique d'un journal d'art, ses descriptions, sa doctrine? Aujourd'hui, que des publications retentissantes répandent partout à si grand nombre l'image de la plus petite revue du Champ de Mars, de la moindre escarmouche de la guerre des Indes, improvisent le portrait des hommes du jour, dessinent au vol la renommée qui passe, il serait assez étrange qu'une revue consacrée aux beaux-arts n'offrît point la reproduction gravée des œuvres d'art. Tout ce que nous pourrions dire, au surplus, sur une peinture, une statue, un dessin de maître, vaudra-t-il jamais le léger crayon qu'un dessinateur spirituel en aura tracé? et quel prix n'aura pas, dans l'avenir, un recueil où seront venus se classer, se fixer, au fur et à mesure de leur apparition, les événements qui agitent le monde des amateurs et des artistes, les ouvrages qui seraient demeurés inconnus et que nous aurons mis en lumière, les compositions de nos maîtres vivants à côté des chefs-d'œuvre non encore gravés des grands maîtres d'autrefois; car notre intention n'est pas de recommencer en bois les tailles-douces, comme d'autres ont dû le faire dans une pensée différente; excudant alii mollius œra. Ce que nous voulons produire, ce sont de préférence les choses peu connues, les pièces rares, enfouies dans le mystère des galeries privées, les beaux morceaux du sculpteur et du peintre qui n'ont pas encore vu le jour du dehors. Il faut maintenant, à un très-grand nombre de curieux, de l'art avant la lettre. / Mais quel sera l'esprit de la Gazette des Beaux-Arts? C'est la question à laquelle nous devons répondre avant tout. / La France, par sa position géographique, par son histoire et par cette faculté d'assimilation qui lui est propre, a dû exercer et subir tour à tour beaucoup d'influences en fait d'art. Sans parler des temps gothiques où notre architecture servait de modèle même à la gothique Allemagne, sans parler du xvc siècle qui en France préparait une renaissance spontanée, que d'échanges réciproques entre l'Europe et nous! Au xvie siècle, notre peinture vivait des importations italiennes; elle était élégante, maniérée et florentine. Au siècle suivant, Nicolas Poussin lui conseilla l'antique et Louis XIV lui ordonna la pompe, de sorte qu'elle se composa un style qui rappelait à la fois le goût des Grecs et la magnificence des empereurs : Athènes et Rome. Au xvnr siècle, elle devint spirituelle, ingénieuse, amusante, éprise d'amour ou plutôt de volupté, remplie de malice et vouée à une afféterie qui n'était pas sans charme et qu'elle prenait pour de la grâce. Elle se retrouvait, cette fois, beaucoup plus française. Mais, à force de s'éloigner des immuables principes de l'art, elle s'abandonna à toutes les folies, s'oublia dans l'absurde et appela l'inévitable réforme du grand David. Cependant, cette réforme ayant à son tour exagéré l'hellénisme, jusqu'à le rendre factice, roide et monotone à périr d'ennui, le romantisme éclata, qui n'était guère qu'une révolution dans la forme, et ce furent alors des excès non moins ridicules en sens contraire. Pour en finir avec la race d'Agamemnon, l'on évoqua la vieille chevalerie et le vieux christianisme. La peinture se fit gothique, l'histoire ne se montra plus qu'habillée dans le costume du moyen âge, et l'on nous fatigua bientôt du petit Jehan de Saintré comme on nous avait fatigués de Mercure et d'Apollon... / Aujourd'hui, grâce à Dieu, ces réactions violentes sont à leur terme; la critique, si souvent emportée par les courants de l'opinion (j'entends l'opinion des ateliers), peut maintenant se rasseoir et, parlant un langage plus calme, reprendre l'ascendant qu'elle avait perdu par son immodération. Le temps est passé, du reste, où l'esprit de système avait la chance de plaire à l'une des deux armées qui se disputaient le champ de bataille du Salon. Au point où nous en sommes, il est permis de dire, il est même facile de faire entendre la vérité aux classiques et aux romantiques, si tant est qu'il existe encore des divisions de ce genre. Donc, rien d'exclusif ne trouvera place dans ce recueil. La beauté est partout, l'art est présent, l'art est admirable à des degrés divers en toutes choses, dans une fresque de Raphaël et dans une vignette de Gravelot, dans une composition héroïque du Poussin et dans un simple fleuron de Choffard ou de Salembier. Les docteurs ont rétréci le domaine du beau, les amoureux l'agrandissent. Pour eux, Phidias et Rembrandt tiennent chacun un bout de cette banderole charmante qui flotte au-dessus du monde. Toutefois, ce qui importe, c'est de maintenir la hiérarchie des choses, je veux dire de ne pas confondre la perfection relative etJe sublime absolu. Il faut que la beauté humaine passe avant la beauté française ou la beauté britannique. / En dessinant le frontispice de la Gazette des Beaux-Arts, nous avons essayé d'exprimer les sentiments qui nous animent et l'idée qui nous dirigera. Pour base à nos travaux, nous prenons l'art antique à son plus beau moment, lorsque, dérobant le feu du ciel, il a soufflé la vie à des figures idéales. Notre première pierre est donc un fragment vénérable de l'immortelle frise du Parthénon. Au sommet, nous avons placé la tête de Léonard de Vinci, parce qu'il fut le grand initiateur de la Renaissance, l'artiste le plus complet des temps modernes, le génie le plus sain, le plus rare et le plus rayonnant de l'Italie. Sur la plinthe sont groupés les divers objets d'art et de curiosité qui feront la matière et l'intérêt de nos études; les merveilles de l'orfèvrerie, de la céramique, de la ciselure, y brillent à côté des instruments et des œuvres du peintre, du statuaire, du graveur. Ainsi, dans l'immense intervalle qui sépare l'antique du moderne, à la lueur de ces deux phares, Léonard de Vinci et Phidias, nous explorerons le monde entier des arts du dessin. / Depuis longtemps, sans doute, des hommes qui sont nos amis, nos voisins et nos confrères, des hommes dont nous étions hier les collaborateurs et qui demain seront les nôtres, s'occupent de cette noble besogne et s'emploient à entretenir la flamme sacrée. Mais, par l'ancienneté même de ses précédents connus, la feuille qui manifeste et que soutient leur talent, a laissé une trop large place à l'élément purement littéraire, enseignant ainsi au public plutôt un dilettantisme élégant que le culte profond, intime et religieux de la beauté. Mais chacun peut à merveille conserver son rôle. Nous ne voulons pas jouer le même air que nos amis, avec la prétention de le jouer mieux nous voulons jouer un autre air. A nous donc de tenter librement une œuvre inaccomplie. / Naturellement divisé en deux parties, notre Courrier Européen s'occupera des vivants d'abord, des morts ensuite; il suivra le mouvement des arts et de la curiosité à Paris, en France, en Europe, en Amérique; il aura l'œil aux ateliers, aux ventes, aux travaux publics, aux collections qui se forment et à celles qui se dispersent. Grâce aux lumières des hommes éminents qui veulent bien nous promettre leur concours, la Gazette des Beaux-Arts saura éclairer, instruire à propos et conseiller utilement le public, ce public qui, abandonné à lui-même, donne si souvent tête baissée dans un abîme d'erreurs, et quand nous employons le mot public, nous le faisons un peu par politesse, car ce n'est pas la foule seulement qui s'égare, et chaque jour nous voyons des amateurs d'élite, des hommes d'infiniment d'esprit, se laisser aller à des engouements inexplicables, offrir d'un paravent de Boucher ce qu'ils n'offriraient pas d'un Titien, enchérir jusqu'au scandale ce qui vaut à peine un caprice. / Dieu nous garde au surplus de la moindre velléité de pédantisme! notre seule ambition est de confier au papier ce que nous ont appris plus de vingt ans d'études spéciales, de lectures passionnées, de comparaisons, de voyages; nous entendons surtout faire servir à l'initiation du grand nombre, les connaissances de quelques-uns. Il faut en convenir, l'éducation de la jeunesse, en matière d'art, est complètement nulle. Tel lauréat brillant et superbe achève ses humanités sans avoir la moindre teinture des arts; il connaît les affaires des Grecs antiques, leurs capitaines, leurs orateurs et leurs philosophes, leurs querelles intestines et leurs grandes guerres médiques, mais il ne connaît ni leurs idées sublimes sur la peinture et la statuaire, ni leurs adorables dieux de marbre, ni leurs temples divins. Il sait l'histoire d'Alcibiade et de Périclès, mais il ne sait rien d'Ictinus; il a appris par cœur les batailles, les conquêtes d'Alexandre, mais il ignore Pyrgotèle et ses camées, Lysippe de Sicyone et ses bronzes, et il ne sait d'Apelle que son nom. Que dis-je? Cette ignorance est commune à une infinité de personnes, d'ailleurs distinguées, qui professent à leur insu des hérésies monstrueuses, et, faute d'un rudiment, formulent avec grâce, dans les causeries du monde, des erreurs à faire frémir. Eh bien, ces hommes intelligents, nous les mettrons en rapport avec les érudits de toute l'Europe, avec les écrivains les plus habiles, avec les experts les plus sûrs, tandis que d'autre part nous donnerons des écouteurs choisis à quiconque saura parler, même imparfaitement, la langue sacrée. Heureux si, en répandant des notions indispensables à la dignité de l'esprit, nous contribuons pour notre petite part à ce grand œuvre de civilisation cosmopolite qui semble être le rôle obligé de notre siècle! Heureux, par-dessus tout, si nous pouvons offrir un préservatif contre l'ennui à ceux qu'on appelle les élus du monde, intéresser un instant les femmes, faire oublier au financier ses reports, à l'avocat ses dossiers, au philosophe ses réflexions amères, à tous nos lecteurs, enfin, les petites et les grandes misères de cette vie que l'on dit si courte, et qui est pourtant si longue..., quand elle est sans art! / Charles Blanc Sources : Gallica, BNF, Médiathèque Grand Troyes, Université de Lausanne. Bibliographie : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1911_num_72_1_448435 Archives : néant Liens : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343486585/date.r=la+gazette+des+beaux-arts.langFR [périodique] Voir les bulletins disponibles Rechercher dans ce périodique La Gazette des Beaux-Arts = Jusqu'en 1906 « Courrier Européen de l'Art et de la Curiosité » [texte imprimé] / Édouard Houssaye, Fondateur ; Charles Blanc, Fondateur ; Charles Blanc, Directeur de publication ; Théodore Reinach, Directeur de publication ; Georges Wildenstein, Directeur de publication ; Daniel Wildenstein, Directeur de publication ; Charles Blanc, Rédacteur en chef . - Paris : Gazette des beaux-arts : New-York (Etats-Unis) : G. Wildenstein, 1859-2002.
« Paris ». Date de parution.
Jusqu'en Juillet 1861 la mention « Rédacteur en Chef, M. Charles Blanc. Ancien directeur des Beaux-Arts ».
De 1873 à 1878 « 3, Rue Laffitte, 3 ».
La Chronique des arts et de la curiosité (commence en 1861 et devient Beaux-arts en 1923)
De 1878 à 1908 « 8, Rue Favart, 8 ». A partir de 1908 Fg St Germain. "
Langues : Français (fre)
Mots-clés : Beaux-arts sculptures peintures art moderne art contemporai marché de l'art curiosité musée collections Note de contenu : Critiques d'art, chroniques artistiques, actualité de l'art.
« Arts à l'Exposition Universelle de 1900. » Gazette des Beaux-Arts, 1er octobre 1900. (numéro spécial)
« La peinture et la gravure à Aix-en- Provence aux XVle, XVIIe et XVIIIe siècles (1530-1790) », Gazette des Beaux- Arts, juillet-septembre, 1971 (numéro spécial).Dimensions : In 8° (28x30 cm) Périodicité : Bimensuel (1859-juin 1861) ; mensuel (juillet 1861-2002) ; trimestriel (1917-1919) Prix : En 1872 : Paris : Un an, 40 fr ; six mois,20 fr.; trois mois, 10 fr. Départements. 44 fr.; 22 fr.; 11 fr. Étranger le port en sus. Nombre de pages : Un minimum de 80 pages, et un maximum d'environ 105 pages par livraison Couvertures : La couverture ne change pas. Il s'agit d'une gravure (sur cuivre), gravure classique, contenant de nombreuses références à l'Antiquité. Le titre est placé au centre de cette gravure qui l'intègre véritablement dans une cadre architectural, avec la présence d'un bas relief au bas de la gravure. Illustrations : Il y a la présence de nombreuses illustrations, il s'agit uniquement de gravures (majoritairement des eaux-fortes). Il y a pour chaque mois, à partir du moment où la revue devient mensuelle (juillet 1861) un minimum de 16 gravures et un maximum d'environ 30 gravures dans certaines parutions. Publicités : Il y a des publicités présentes. Elles se trouvent juste après la table des matières, on peut trouver parfois des illustrations (gravures) mais ce n'est pas très récurrent. La plupart des annonceurs sont des imprimeurs-éditeurs. Mais on trouve également des banques. Numéros parus : 1606 numéros Histoire de la revue : "Revue d’art française fondée en 1859, la Gazette des Beaux-Arts a constitué une référence internationale en histoire de l’art pendant près de 150 ans. Elle a disparu en 2002, un an après le décès de son dernier directeur, Daniel Wildenstein, dont la famille avait racheté la revue en 1928. La Gazette des Beaux-arts se distingue par sa longévité et son histoire remarquable, fondatrice de la discipline. Parmi ses directeurs on trouve l’amateur d’art Charles Ephrussi, le critique Roger Marx, l’hélléniste Théodore Reinach, et le riche collectionneur Georges Wildenstein. Son premier rédacteur en chef fut Charles Blanc, académicien et professeur d’esthétique au Collège de France, dont les théories sur la couleur auraient influencé Van Gogh. Du côté des collaborateurs, les artistes de renom côtoient les écrivains : Paul Signac ou Emile Bernard signèrent des articles, tout comme les frères Goncourt, qui offrirent à la Gazette des contributions sur l’art du XVIIIe siècle, ou Ernest Renan, sur l’art phénicien, Marcel Proust, sur Ruskin, André Gide, sur le Salon d’automne de 1905. Des collectionneurs tel Seymour de Ricci, et surtout de nombreux historiens et historiens d’art comme Théodore Duret, Bernard Berenson, Germain Bazin, Henri Focillon, André Chastel, ou des spécialistes venus d’autres horizons comme Claude Levi-Strauss ou Erwin Panofsky contribuèrent au rayonnement international de la revue." (Lucile Trunel, blog Gallica, http://blog.bnf.fr/gallica/?p=1451 ) Déclaration d’intention : La Gazette des Beaux-Arts, que nous fondons aujourd'hui, n'eût pas été possible il y a quinze ans; elle n'aurait pas eu alors huit cents souscripteurs: maintenant, si elle est faite comme nous la comprenons, elle en peut avoir facilement dix mille. D'où vient ce changement, et que s'est-il passé dans le monde? Comment s'est formé en si peu de temps cet immense public, si prompt à s'intéresser aux choses d'art? Ce n'est pas, sans doute, que nos organes aient acquis une délicatesse imprévue, que notre esprit se soit tout à coup raffiné; la France est depuis longtemps la nation le mieux façonnée à toutes les jouissances du goût; mais, il y a quinze ans, le public regardait ailleurs. Les grands artistes de la tribune, de la politique, de l'histoire, occupaient alors toute la scène, et l'art n'était qu'un agréable intermède dans ce drame émouvant des intelligences en rivalité, en lutte et en action... Que d'événements, depuis, ont détourné le cours de nos idées! Que de personnages ont dû vouloir un autre aliment aux activités de leur esprit! Combien d'âmes découragées ont cherché, dans le culte de l'art, une haute consolation, un libre refuge! La France, d'ailleurs, a vu surgir de toutes parts des fortunes subites comme au temps de Law; et, au moment où nous pouvions nous attendre à une invasion de ces barbares qui sont toujours à nos portes, il s'est trouvé, au contraire, que les millionnaires de la veille, s'improvisant amateurs, se sont passé la fantaisie d'aimer la peinture, et le luxe de s'y connaître. De là ce renchérissement extraordinaire de tous les objets d'art, et particulièrement des livres où l'on espérait puiser à la hâte et en secret ['érudition du quart d'heure. De là cet encombrement des salles de ventes où l'on vient se disputer, à prix d'or, les tableaux de maîtres, les estampes rares, les bronzes, les ivoires, les émaux, les médailles, et où nous voyons tous les jours, mêlés à l'arrière-garde de la curiosité, cent figures nouvelles de jeunes hommes inconnus, ardents encore comme des novices, et déjà madrés comme des vétérans. / Mais il est d'autres causes à ce prodigieux accroissement du nombre des curieux : ce sont les expositions universelles de Londres, de Paris, de Manchester; c'est la facilité de parcourir le monde, c'est l'occasion de voir souvent de belles choses et d'être averti de leur beauté. Tel homme, indifférent jusqu'alors, a senti tout à coup s'éveiller en lui un vague désir d'initiation aux grands mystères de l'art, lorsque, porté en quelques heures de l'extrémité d'un pays à l'autre, il s'est trouvé en présence de tant de merveilles accumulées dans ces palais lumineux où l'univers se montre à l'univers, où l'humanité a conscience de sa grandeur, où l'art se fait illustre, comme dit Montaigne, par tant de visages. / Il faut le dire aussi, le journalisme a bien contribué pour sa large part au recrutement des amateurs. Autrefois la critique était légère, inconsistante, étourdie; elle se contentait de quelques tirades éloquentes, se payait volontiers de mots heureux, et n'en imposait pas moins à l'ignorance du public. Aujourd'hui, elle s'est rangée; elle est devenue réservée, attentive, studieuse; elle s'est drapée dans l'érudition; elle a voulu non-seulement tout savoir mais tout approfondir, tandis que le lecteur, devenu à son tour plus difficile, demandait moins de raisonnements vagues et plus de faits certains. / Cette transformation de la critique d'art, parallèle aux progrès de notre école historique, est due en partie aux influences de l'Allemagne. A son exemple, nous avons acquis la patience de fouir les bibliothèques, de compulser les chartes, de déchiffrer les manuscrits. Tel journaliste superficiel s'est fait archéologue; tel critique évaporé songe à l'Académie des inscriptions, de sorte que nos Français, qui avaient toujours eu de la grâce, y ont ajouté le savoir. Mais comme une telle réaction ne pouvait s'opérer sans quelques excès, il s'est trouvé qu'on a un peu exagéré l'importance de certaines fouilles; que les chercheurs se sont égarés dans les minuties, et ont perdu de vue ce qui constituait justement la physionomie originale de l'art français. La précision des dates est un véritable trésor sans doute, à la condition pourtant que les chiffres ne nous feront pas oublier la philosophie des choses. Parce que les registres de l'état civil auront fourni quelquefois des faits intéressants ou des rapprochements lumineux, il ne faut pas nous laisser envahir par la marée montante des paperasses; car enfin, si les actes de baptême, les petits billets retrouvés, les autographes intimes ont infiniment d'intérêt lorsqu'il s'agit d'un de ces artistes supérieurs qui honorent l'humanité, on conviendra qu'il n'en est pas tout à fait de même quand on s'occupe du premier peintre de la mairie de Saint-Flour. L'important, d'ailleurs, au sujet des grands hommes, n'est pas de savoir ce qui s'est passé dans leur ménage, mais ce qui se passait dans leur esprit. / Maintenant que la critique est devenue suffisamment sérieuse, gardons-nous des inutiles détails, et surtout de revenir au genre ennuyeux. Le temps n'est plus où les livres d'art, écrits sans aucun charme, et partant sans aucun art, avaient le singulier privilège de nous fatiguer en nous parlant de ce qui doit nous ravir. Aussi bien, trop d'érudition finit par encombrer le cerveau et risquerait d'étouffer en nous, à la longue, toute émotion naïve et de déflorer la délicatesse de nos sentiments. Tâchons de ressembler aux Allemands par leur bon côté, car il est de ces Tudesques, d'ailleurs fort estimables, qui, à force de compiler, s'embrouillent la mémoire de faits et de dates, et s'indigèrent de science, au point qu'on peut leur appliquer à merveille ce mot charmant que disait à un de nos amis le bibliothécaire de la Minerve: Più s'impara e più s'imbroglio. / La France, disons-nous, a toujours été le pays de la critique par excellence: clarté, justesse, mesure, finesse d'observation, sentiment exquis des convenances, nous avons toutes les qualités qui constituent le critique, et il n'est pas jusqu'à nos défauts qui ne nous servent dans ce rôle. Ce qui nous manque, en effet, du côté de la poésie, de l'imagination, nous l'avons surabondamment du côté de l'esprit, et la vieille ironie gauloise, si elle est souvent hostile à l'enthousiasme, est au moins une arme toute prête contre les égarements du goût. Il est donc surprenant que l'on affecte aujourd'hui de contester à la France l'incontestable supériorité de sa critique, comme si la nation qui a vu à l'œuvre tant de fins connaisseurs, les maréchaux de la curiosité, ainsi que les appelait le duc de Choiseul, les Marolles, les de Piles, les Gersaint, les Mariette, les Basan, les Regnault Delalande, pouvait avoir perdu tout à coup cette rare sagacité de jugement qui est le fruit le plus indigène de son génie. Oui, la littérature française est aujourd'hui en mesure d'exercer la critique avec plus d'éclat que jamais, puisqu'elle est à la fois lestée de science et en possession de tous les genres de style. La science? elle se manifeste plus que jamais dans les diverses ramifications des arts du dessin. Le style? en aucun temps on ne lui fit accomplir plus d'évolutions et de tours de force. Ici, c'est un des rose-croix de la franc-maçonnerie littéraire qui fait du dictionnaire une palette, écrit en ronde bosse, et, pétrissant les mots comme de l'argile, prête au langage étonné la réalité plastique des choses; là, au contraire, c'est un grave académicien qui parle du vrai, du bien et du beau, dans ce noble style français, originaire de la plus haute latinité et dont le secret n'est pas encore perdu; style ferme et clair, d'une élégance mâle et d'une sobre coloration, qui peint les idées comme les grands maîtres peignaient leurs fresques, avec ampleur, discrétion et autorité. L'un rédige, de cette plume qui a ciselé plus d'un chefd'œuvre, de lumineux rapports sur les monuments historiques de l'ancienne France; l'autre, après avoir réédifié ces monuments avec la passion d'un antiquaire, en parle avec l'érudition élégante d'un architecte rompu aux délicatesses du style. Ceux-ci, élevés dans les raffinements de la tradition, manient en maîtres un des sceptres de la critique, dans une revue qui s'est acquis la prépondérance intellectuelle partout où notre langue est parlée; celui-là, marchant sur les traces glorieuses d'Ottfried Muller, restitue les frontons mutilés ou disparus du Parthénon, tandis qu'un Athénien de Paris inscrit fièrement son nom sur les marbres de l'Acropole. Il en est qui s'appliquent à analyser, de la pointe la plus fine, les types et les manières des maîtres graveurs, ou qui, d'une main émue, dépouillent la correspondance de Nicolas Poussin. Il en est qui. inspecteurs honoraires des musées de l'Europe, les visitent et les décrivent pour une multitude inconnue de voyageurs sédentaires. Il en est, enfin, et des plus habiles, qui nous pardonneront d'être modestes pour leur compte, parce qu'ils partagent avec nous, depuis plusieurs années, des travaux qui nous ont valu la bienveillance du public. Et pendant ce temps, du fond de leur province, mille et mille amateurs nous envoient le fruit de leurs avides recherches; de tous côtés surgissent des Bénédictins de vingt ans, qui ont creusé dans des montagnes de parchemin et savent par cœur le fonds Béthune, le fonds Colbert, le fonds Brienne... De l'étranger nous viennent aussi des ouvrages de saine critique, et nous ne devons pas oublier que c'est l'Académie d'Anvers qui la première a donné l'exemple de ces catalogues substantiels, bien conçus, riches de renseignements, que réclame désormais la légitime exigence des amateurs. Le moment est donc venu de faire participer tout le monde à cette heureuse révolution des arts, en défrichant à nouveau le domaine de la critique. Avec ces qualités réunies, l'érudition et le sentiment, le fond et la forme, nos écrivains devenus antiquaires, nos antiquaires devenus écrivains, peuvent créer un centre d'où rayonneront les lumières de leur goût et la chaleur de leur enthousiasme. / C'est pour leur constituer un organe que nous avons fondé la Gazellé des Beaux-Arts. Sur les ailes de cette feuille volante leurs pensées se répandront, non pas en Europe, mais dans le monde entier, dans ce monde qu'a rapetissé la grandeur de l'homme, et qui, aux yeux de notre philosophie nouvelle, n'est plus qu'une province de ses royaumes futurs. En supprimant les distances, le génie humain a condamné les ténèbres à disparaître de la surface du globe. Et comment les dissiper, si on ne commence par faire briller les notions du beau? Comment rendre aimable la vérité, si ce n'est au moyen de l'art, qui en est la grâce? / Tenir la France au courant de ce qui se passe à l'étranger, et l'étranger au courant de ce qui se passe en France, tel est le but de cette Bevue. Au degré où en est la civilisation, le plus grand besoin des peuples est de se connaître les uns les autres. Beaucoup d'amateurs, beaucoup de ceux qui veulent le devenir, prennent une idée de l'Allemagne, de l'Italie, de la Hollande, de l'Angleterre, de l'Espagne, et, après un court voyage, ils en restent sur quelques notes tracées à la hâte pour venir en aide à leur mémoire. N'est-ce pas leur promettre un vif plaisir que de leur préparer des relations suivies avec les pays déjà parcourus, et de porter continuellement à leur connaissance les ouvrages nouveaux qu'on y produira, les découvertes précieuses qui s'y feront, les jeunes artistes qui arriveront à la gloire et ceux-là mêmes qui mériteraient un certificat de vie, les cabinets célèbres qui seront mis en vente, les beaux objets dont s'enrichiront les galeries publiques ou privées, tout ce qui peut enfin toucher l'âme d'un curieux? Pour réaliser ce programme, nous avons établi dans les diverses contrées de l'Europe, depuis Naples jusqu'à Saint-Pétersbourg, depuis Amsterdam jusqu'à Madrid et depuis Londres jusqu'à Berlin, des correspondants éclairés, vigilants et assidus. Mais, comme il n'est point de parole écrite qui puisse suppléer un dessin, nous avons dû prendre le parti de donner une configuration des objets d'art anciens ou modernes, rares ou inédits, dont il sera parlé dans le texte, tels que tableaux, sculptures, eaux-fortes, dessins de maîtres, nielles, vases grecs, médailles, monuments d'architecture, pièces d'orfévrerie, morceaux de haute curiosité. N'est-il pas permis de s'étonner, en effet, que dans un temps où l'on illustre toute chose et où abondent les feuilles pittoresques, personne n'ait encore songé à expliquer, par des gravures, la critique d'un journal d'art, ses descriptions, sa doctrine? Aujourd'hui, que des publications retentissantes répandent partout à si grand nombre l'image de la plus petite revue du Champ de Mars, de la moindre escarmouche de la guerre des Indes, improvisent le portrait des hommes du jour, dessinent au vol la renommée qui passe, il serait assez étrange qu'une revue consacrée aux beaux-arts n'offrît point la reproduction gravée des œuvres d'art. Tout ce que nous pourrions dire, au surplus, sur une peinture, une statue, un dessin de maître, vaudra-t-il jamais le léger crayon qu'un dessinateur spirituel en aura tracé? et quel prix n'aura pas, dans l'avenir, un recueil où seront venus se classer, se fixer, au fur et à mesure de leur apparition, les événements qui agitent le monde des amateurs et des artistes, les ouvrages qui seraient demeurés inconnus et que nous aurons mis en lumière, les compositions de nos maîtres vivants à côté des chefs-d'œuvre non encore gravés des grands maîtres d'autrefois; car notre intention n'est pas de recommencer en bois les tailles-douces, comme d'autres ont dû le faire dans une pensée différente; excudant alii mollius œra. Ce que nous voulons produire, ce sont de préférence les choses peu connues, les pièces rares, enfouies dans le mystère des galeries privées, les beaux morceaux du sculpteur et du peintre qui n'ont pas encore vu le jour du dehors. Il faut maintenant, à un très-grand nombre de curieux, de l'art avant la lettre. / Mais quel sera l'esprit de la Gazette des Beaux-Arts? C'est la question à laquelle nous devons répondre avant tout. / La France, par sa position géographique, par son histoire et par cette faculté d'assimilation qui lui est propre, a dû exercer et subir tour à tour beaucoup d'influences en fait d'art. Sans parler des temps gothiques où notre architecture servait de modèle même à la gothique Allemagne, sans parler du xvc siècle qui en France préparait une renaissance spontanée, que d'échanges réciproques entre l'Europe et nous! Au xvie siècle, notre peinture vivait des importations italiennes; elle était élégante, maniérée et florentine. Au siècle suivant, Nicolas Poussin lui conseilla l'antique et Louis XIV lui ordonna la pompe, de sorte qu'elle se composa un style qui rappelait à la fois le goût des Grecs et la magnificence des empereurs : Athènes et Rome. Au xvnr siècle, elle devint spirituelle, ingénieuse, amusante, éprise d'amour ou plutôt de volupté, remplie de malice et vouée à une afféterie qui n'était pas sans charme et qu'elle prenait pour de la grâce. Elle se retrouvait, cette fois, beaucoup plus française. Mais, à force de s'éloigner des immuables principes de l'art, elle s'abandonna à toutes les folies, s'oublia dans l'absurde et appela l'inévitable réforme du grand David. Cependant, cette réforme ayant à son tour exagéré l'hellénisme, jusqu'à le rendre factice, roide et monotone à périr d'ennui, le romantisme éclata, qui n'était guère qu'une révolution dans la forme, et ce furent alors des excès non moins ridicules en sens contraire. Pour en finir avec la race d'Agamemnon, l'on évoqua la vieille chevalerie et le vieux christianisme. La peinture se fit gothique, l'histoire ne se montra plus qu'habillée dans le costume du moyen âge, et l'on nous fatigua bientôt du petit Jehan de Saintré comme on nous avait fatigués de Mercure et d'Apollon... / Aujourd'hui, grâce à Dieu, ces réactions violentes sont à leur terme; la critique, si souvent emportée par les courants de l'opinion (j'entends l'opinion des ateliers), peut maintenant se rasseoir et, parlant un langage plus calme, reprendre l'ascendant qu'elle avait perdu par son immodération. Le temps est passé, du reste, où l'esprit de système avait la chance de plaire à l'une des deux armées qui se disputaient le champ de bataille du Salon. Au point où nous en sommes, il est permis de dire, il est même facile de faire entendre la vérité aux classiques et aux romantiques, si tant est qu'il existe encore des divisions de ce genre. Donc, rien d'exclusif ne trouvera place dans ce recueil. La beauté est partout, l'art est présent, l'art est admirable à des degrés divers en toutes choses, dans une fresque de Raphaël et dans une vignette de Gravelot, dans une composition héroïque du Poussin et dans un simple fleuron de Choffard ou de Salembier. Les docteurs ont rétréci le domaine du beau, les amoureux l'agrandissent. Pour eux, Phidias et Rembrandt tiennent chacun un bout de cette banderole charmante qui flotte au-dessus du monde. Toutefois, ce qui importe, c'est de maintenir la hiérarchie des choses, je veux dire de ne pas confondre la perfection relative etJe sublime absolu. Il faut que la beauté humaine passe avant la beauté française ou la beauté britannique. / En dessinant le frontispice de la Gazette des Beaux-Arts, nous avons essayé d'exprimer les sentiments qui nous animent et l'idée qui nous dirigera. Pour base à nos travaux, nous prenons l'art antique à son plus beau moment, lorsque, dérobant le feu du ciel, il a soufflé la vie à des figures idéales. Notre première pierre est donc un fragment vénérable de l'immortelle frise du Parthénon. Au sommet, nous avons placé la tête de Léonard de Vinci, parce qu'il fut le grand initiateur de la Renaissance, l'artiste le plus complet des temps modernes, le génie le plus sain, le plus rare et le plus rayonnant de l'Italie. Sur la plinthe sont groupés les divers objets d'art et de curiosité qui feront la matière et l'intérêt de nos études; les merveilles de l'orfèvrerie, de la céramique, de la ciselure, y brillent à côté des instruments et des œuvres du peintre, du statuaire, du graveur. Ainsi, dans l'immense intervalle qui sépare l'antique du moderne, à la lueur de ces deux phares, Léonard de Vinci et Phidias, nous explorerons le monde entier des arts du dessin. / Depuis longtemps, sans doute, des hommes qui sont nos amis, nos voisins et nos confrères, des hommes dont nous étions hier les collaborateurs et qui demain seront les nôtres, s'occupent de cette noble besogne et s'emploient à entretenir la flamme sacrée. Mais, par l'ancienneté même de ses précédents connus, la feuille qui manifeste et que soutient leur talent, a laissé une trop large place à l'élément purement littéraire, enseignant ainsi au public plutôt un dilettantisme élégant que le culte profond, intime et religieux de la beauté. Mais chacun peut à merveille conserver son rôle. Nous ne voulons pas jouer le même air que nos amis, avec la prétention de le jouer mieux nous voulons jouer un autre air. A nous donc de tenter librement une œuvre inaccomplie. / Naturellement divisé en deux parties, notre Courrier Européen s'occupera des vivants d'abord, des morts ensuite; il suivra le mouvement des arts et de la curiosité à Paris, en France, en Europe, en Amérique; il aura l'œil aux ateliers, aux ventes, aux travaux publics, aux collections qui se forment et à celles qui se dispersent. Grâce aux lumières des hommes éminents qui veulent bien nous promettre leur concours, la Gazette des Beaux-Arts saura éclairer, instruire à propos et conseiller utilement le public, ce public qui, abandonné à lui-même, donne si souvent tête baissée dans un abîme d'erreurs, et quand nous employons le mot public, nous le faisons un peu par politesse, car ce n'est pas la foule seulement qui s'égare, et chaque jour nous voyons des amateurs d'élite, des hommes d'infiniment d'esprit, se laisser aller à des engouements inexplicables, offrir d'un paravent de Boucher ce qu'ils n'offriraient pas d'un Titien, enchérir jusqu'au scandale ce qui vaut à peine un caprice. / Dieu nous garde au surplus de la moindre velléité de pédantisme! notre seule ambition est de confier au papier ce que nous ont appris plus de vingt ans d'études spéciales, de lectures passionnées, de comparaisons, de voyages; nous entendons surtout faire servir à l'initiation du grand nombre, les connaissances de quelques-uns. Il faut en convenir, l'éducation de la jeunesse, en matière d'art, est complètement nulle. Tel lauréat brillant et superbe achève ses humanités sans avoir la moindre teinture des arts; il connaît les affaires des Grecs antiques, leurs capitaines, leurs orateurs et leurs philosophes, leurs querelles intestines et leurs grandes guerres médiques, mais il ne connaît ni leurs idées sublimes sur la peinture et la statuaire, ni leurs adorables dieux de marbre, ni leurs temples divins. Il sait l'histoire d'Alcibiade et de Périclès, mais il ne sait rien d'Ictinus; il a appris par cœur les batailles, les conquêtes d'Alexandre, mais il ignore Pyrgotèle et ses camées, Lysippe de Sicyone et ses bronzes, et il ne sait d'Apelle que son nom. Que dis-je? Cette ignorance est commune à une infinité de personnes, d'ailleurs distinguées, qui professent à leur insu des hérésies monstrueuses, et, faute d'un rudiment, formulent avec grâce, dans les causeries du monde, des erreurs à faire frémir. Eh bien, ces hommes intelligents, nous les mettrons en rapport avec les érudits de toute l'Europe, avec les écrivains les plus habiles, avec les experts les plus sûrs, tandis que d'autre part nous donnerons des écouteurs choisis à quiconque saura parler, même imparfaitement, la langue sacrée. Heureux si, en répandant des notions indispensables à la dignité de l'esprit, nous contribuons pour notre petite part à ce grand œuvre de civilisation cosmopolite qui semble être le rôle obligé de notre siècle! Heureux, par-dessus tout, si nous pouvons offrir un préservatif contre l'ennui à ceux qu'on appelle les élus du monde, intéresser un instant les femmes, faire oublier au financier ses reports, à l'avocat ses dossiers, au philosophe ses réflexions amères, à tous nos lecteurs, enfin, les petites et les grandes misères de cette vie que l'on dit si courte, et qui est pourtant si longue..., quand elle est sans art! / Charles Blanc Sources : Gallica, BNF, Médiathèque Grand Troyes, Université de Lausanne. Bibliographie : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1911_num_72_1_448435 Archives : néant Liens : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343486585/date.r=la+gazette+des+beaux-arts.langFR Documents numériques
Couverture 1870URL